Evocation d’un détachement au « CESO » 1975-1980

Concorde Engines Support Organisation
Par Alain Joselzon

Vue aérienne du parcours de l’intéressé :

Alain Joselzon, né le 21 /07/1946 à St Jean de Maurienne (Savoie) est diplômé de l’ENICA en 1970 (école nationale d’ingénieurs de constructions aéronautiques, devenue l’ENSICA, qui a ensuite fusionné avec ISAE-Supaéro).
Il a commencé son parcours aux Essais en Vol de la SNIAS, de 1970 à 1975 (travaillant au bureau de calcul puis comme ingénieur spécialiste moteurs, à la fois dans la période pré-certification Concorde et dans les débuts d’Airbus). Fort de cette expérience, il a été recruté par la Direction de l’Après-Vente de la SNECMA, en vue d’être détaché au CESO Bristol-Filton, où il a travaillé de 1975 à 1980.
Par la suite, Alain Joselzon sera sollicité pour revenir chez l’avionneur, alors Airbus Industrie, où il est embauché en 1981.  A partir de là, il exercera diverses responsabilités de management technique pour l’intégration des systèmes propulsifs dans des programmes successifs de développement et certification des avions Airbus, au sein de la direction technique de diverses entités au gré des réorganisations internes : Airbus Industrie, Aérospatiale, Airbus Industrie Asia et Airbus France.
Le portrait d’Alain Joselzon présente en détail son parcours professionnel
Concernant les activités d’après-vente des moteurs Olympus 593-610 de Concorde, un article paru dans la revue Interavia en mai 1970 peut être consulté sur le site de l’association Cap Avenir Concorde.

Aspects saillants des activités CESO et de mon implication

Le CESO était installé
dans les locaux de Rolls-Royce à Bristol-Filton, comportant une quinzaine de personnes, dont un directeur (de Rolls-Royce, à l’époque Philip Pearce), un adjoint (de SNECMA : André Verdier), 2 à 4 Customer Support Managers de RR et SNECMA (dont je faisais partie), quelques techniciens (de RR et SNECMA) et quelques personnes assurant le travail administratif et de secrétariat. Le CESO pilotait les activités d’après-vente des moteurs et plus particulièrement particulier de support technique, ceci incluant les activités d’une vingtaine de représentants techniques avec leurs petites équipes de metteurs au point (RR et SNECMA), détachés sur toutes les bases principales et dans les escales où opérait Concorde, ainsi qu’à Toulouse et à Filton. Ces personnels avaient un rôle clé que leur conférait une forte expérience acquise pendant des années en support des essais en vol avec diverses versions du Concorde et des moteurs.

– La SNECMA a fait appel à moi en vue d’être détaché au CESO, au moment où se préparait le support des opérations en service – Concorde a été certifié en 1975 et mis en service en 1976 – sur la base de mon expérience des moteurs Olympus, acquise grâce à mon implication dans les Essais en Vol, où j’avais, entre autres, rédigé une Note d’Information Equipages décrivant en détail la conduite des moteurs, les commandes et l’instrumentation de bord associées.

– L’ensemble propulsif du Concorde de série est représenté ci-dessous :

Le moteur Olympus, dérivé d’un moteur militaire du bombardier stratégique Avro Vulcan, a été conçu par Bristol-Siddeley, devenue la branche militaire des moteurs Rolls-royce, basée à Bristol (la branche des moteurs civils étant implantée à Derby).

– J’avais rédigé également divers rapports d’incidents en vol. J’ai passé bien des soirées à analyser des paramètres enregistrés en vol, à faire des relevés sur l’avion, dans le poste équipage en particulier, entre le vol de la journée et le vol prévu le lendemain. Je le faisais avec un plaisir et un enthousiasme partagé par toutes les personnes impliquées dans cette aventure captivante, exceptionnelle.

– Les tâches des personnels étaient réparties selon le partage des responsabilités dans les systèmes, équipements et pièces moteurs, essentiellement le moteur proprement dit et son contrôle pour RR, les tuyères d’éjection et le système de post-combustion pour SNECMA. Cependant, certaines pièces du moteur (disques) étant fabriquées par SNECMA sous licence de RR, il y avait donc diverses interactions et interfaces. De même au niveau des analyses de certains incidents.

Les activités du CESO
étaient orientées à la fois vers les opérateurs (Air France et British Airways, responsables techniques, équipages techniques et personnels de maintenance), les sociétés responsables des révisions et réparations des moteurs (Iberia pour Air France, et BEOL pour British Airways), vers les avionneurs (SNIAS et British Aircraft Corporation), et en interne RR et SNECMA vers les services d’après-vente ainsi que vers les directions techniques dédiées au Concorde / moteurs Olympus, avec lesquelles les relations étaient étroites, permanentes, et les réunions fréquentes.

– Des conférences regroupant l’ensemble des acteurs étaient périodiquement organisées pour faire le point des problèmes rencontrés, des solutions mises en œuvre, en lien avec les moteurs.

– Un comité d’analyse des incidents opérationnels majeurs en service relatifs aux moteurs a été mis en place très tôt, chargé de faire un suivi technique rigoureux des décollages abandonnés, des coupures moteurs en vol, des retours en vol, des retards conséquents, analysant les causes, l’implication des systèmes et équipements moteurs, avec un suivi de chaque incident jusqu’à sa résolution complète. Ceci impliquait chaque fois que nécessaire, les analyses des enregistrements de vol, le suivi « à la trace » d’équipements incriminés ou suspects. Pour un avion « très en vue » tel que Concorde, qui engageait le prestige de tous les acteurs et des 2 pays (France et Grande-Bretagne), et compte tenu de ses performances exceptionnelles, l’exigence de fiabilité opérationnelle était évidemment très forte. Au niveau du CESO et des autres acteurs impliqués, les activités de ce comité étaient importantes, continues, avec des réunions périodiques pour faire le point, combinées avec des visites de diverses installations. Le comité comprenait des représentants de toutes les sociétés mentionnées ci-dessus, appartenant à divers services, des navigants d’essais en vol (par exemple Michel Rétif, de la SNIAS) ou de compagnies aériennes ; le comité était piloté par un président, du CESO-RR (initialement Bill Barrett), et par un vice-président du CESO-SNECMA (initialement moi-même).

– De nombreux déplacements, visites et réunions ont ponctué mes activités au CESO, y compris sur les sites de Filton (BAC, RR), de SNECMA (Villaroche et Corbeil), d’Air France-Roissy, British Airways-Londres Heathrow, et Toulouse, ainsi que chez les réparateurs (Iberia et BEOL).

– Dans le contexte de mes activités au CESO, j’ai été l’auteur de plusieurs rapports, études et dossiers couvrant des aspects techniques, logistiques et opérationnels relatifs aux moteurs, aux tuyères et à la réchauffe (post-combustion), les systèmes, équipements et pièces de rechange, la logistique AOG, la maintenance, les révisions et les réparations, les incidents et divers aspects concernant les lignes opérées par Concorde, soit en lien avec les besoins internes des motoristes, soit pour partager des informations avec les autres acteurs, ou avec des objectifs conjoints. J’ai été directement impliqué dans de nombreux autres dossiers. Ces activités étaient le plus souvent en rapport avec des matériels sous la responsabilité de la SNECMA.

Divers échos d’activités spécifiques

– Alors que je travaillais aux essais en vol, j’ai eu le privilège d’être invité pour un vol d’essais Toulouse – Reykjavik (en survol) – Toulouse simulant une traversée transatlantique, sur un Concorde de série, avec Jean Franchi et Jean Pinet aux commandes.

– Mon premier contact avec Filton et Bristol a été lors d’un stage intensif de perfectionnement sur le moteur Olympus organisé par Rolls-Royce, l’année qui a précédé mon embauche à la SNECMA et mon détachement au CESO.

– Une de mes premières activités au CESO a consisté à accompagner une mission de plusieurs jours d’un Concorde de série organisée à Casablanca au Maroc en 1976 (choix guidé par des questions de température ambiante et de nuisance sonores) dans le cadre de la mise au point / certification du système de post-combustion du moteur au régime « Contingency », pour corriger des problèmes d’instabilité de flamme. J’ai gardé le souvenir d’avoir été fortement secoué à l’intérieur de la camionnette stationnée à une distance « respectueuse » à l’arrière de l’avion, d’où l’on observait la flamme en couronne de la réchauffe. Le problème a bien été résolu !

– Accessoirement, j’ai profité de mes années passées à Bristol pour améliorer ma maîtrise de la langue anglaise, en suivant pendant quelques années les cours du Cambridge Certificate of Proficiency, passant l’examen avec mention TB en 1980.

Après « l’épisode CESO »
J’ai démissionné de la SNECMA fin 1980 pour revenir chez l’avionneur, à Airbus Industrie à Toulouse, rejoignant l’équipe de spécialistes moteurs nouvellement mise en place à la Direction Technique, pilotée par un ingénieur remarquable, Ange Ortega, que j’avais déjà pu apprécier alors qu’il travaillait au bureau d’études de la SNIAS et que je débutais aux essais en vol, dans le contexte Airbus.

Je pense avoir représenté un cas assez rare à l’époque d’ingénieur changeant de société (de SNIAS vers SNECMA) avec détachement immédiat et déménagement direct de Toulouse à Bristol, à l’automne 1975, et à nouveau, changement de société (de SNECMA vers Airbus Industrie) avec déménagement en sens inverse direct de Bristol à Toulouse, fin 1980.

Leçons de l’expérience CESO et de mes 10 premières années professionnelles en général

Mes années aux essais en vol, au contact des pilotes d’essais, des ingénieurs d’essais, des mécaniciens navigants, des metteurs au point et des personnels de piste, des ingénieurs des bureaux d’études, des divers personnels et représentants détachés, contacts qui se sont en fait prolongés et diversifiés dans mes activités au CESO, m’ont permis de réaliser l’importance capitale de l’esprit d’équipe animant, fédérant et démultipliant les efforts de chacun, pour la progression de tous et l’atteinte du but commun exaltant mais exigeant, avec un maximum de cohérence et d’efficacité.

Bien entendu, le Concorde représentait ce qui pouvait exister de plus noble et prestigieux et était « l’objet de tous nos soins », parfaitement représenté et servi à tous les niveaux par les profils des personnels en matière de connaissances, d’expérience, de qualités humaines, de dévouement à la tâche, de respect mutuel et d’inébranlable esprit de solidarité.

Sur beaucoup de points, je retrouvais en fait un enthousiasme communicatif et des qualités similaires aux Essais en Vol parmi les équipes Airbus, d’autant plus que d’autres travaillaient comme moi à la fois sur des sujets concernant tantôt Airbus, tantôt Concorde, qu’une émulation naturelle positive se créait, et que le passage d’un avion à l’autre apportait une ouverture de l’horizon, une diversification salutaires évitant le risque d’une fixation idolâtre, d’un certain sectarisme outrecuidant et favorisant en outre une attitude bienveillante et humble. Les liens étroits avec General Electric sur les moteurs CF6-50 de l’Airbus apportaient un vent et un sel nouveau venant compléter les expériences venues du monde anglo-saxon.

En marge de mon évocation déjà élargie de l’expérience « CESO », je poursuis brièvement la réflexion dans un article mettant en perspective entre elles les expériences Concorde et Airbus.

Les Essais en Vol de Concorde et Airbus, le CESO, ont été une formidable école d’apprentissage intensif pour moi, et l’état d’esprit régnant, autant que la formation technique par l’exemple de haut niveau dont j’ai pu ainsi bénéficier grâce ces expériences mêlées, ont été fondateurs pour moi, influençant tout le déroulement et les choix de ma vie professionnelle ultérieure, passant par Airbus Industrie (programmes A300, A310, A320), Aérospatiale (programmes A340-A330), Airbus Industrie Asia (projet d’avion de 100 places avec la Chine), la Commission Européenne (Expert National Détaché à Bruxelles pendant 2 ans) et retour au poste de responsable de la stratégie environnementale à la Direction Technique d’Airbus, en outre président du comité environnemental international des constructeurs et leur porte-parole auprès du comité environnement de l’OACI (CAEP).

Dans le petit monde de l’aéronautique, depuis les années aux essais en vol, la période CESO et par la suite, mon destin en a croisé bien d’autres. Parmi mes rencontres marquantes, je citerai seulement le cas de Jean Beslon, principal ingénieur navigant d’essais RR-SNECMA sur Concorde (responsable pour l’ensemble du moteur, à Toulouse), contact fréquent aux essais en vol de la SNIAS où il dirigeait une petite équipe SNECMA performante qui y avait un bureau. Jean Beslon a par la suite migré du poste de directeur des essais en vol de SNECMA à la Direction de l’après-vente civile SNECMA, basée à Corbeil, devenant ainsi mon supérieur lors de mon détachement au CESO. Je l’ai retrouvé à nouveau à l’Aérospatiale, où il avait fini par atterrir…Un lien d’amitié et d’estime s’était noué au fil des ans avec cet ingénieur aux compétences hors-pair, percutant, ouvert et chaleureux. Il avait un sens aigu du travail d’équipe, focalisé sur la discussion et la résolution des problèmes techniques ou autres, toujours respectueux de son interlocuteur, mais indifférent aux questions de position hiérarchique. Il est malheureusement décédé depuis.

Je ne citerai pas ici les noms de tous ceux, nombreux, qui font partie de mon panthéon mémoriel, appartenant aux mondes Concorde et Airbus, mais je ne peux pas ne pas consacrer une place spéciale à André Turcat, mon premier directeur, que j’ai eu le privilège de connaître dans divers rôles, de pilote d’essais animant les synodes après vol (réunion de debriefing après vol, dans le jargon des essais en vol), de correcteur des notes techniques, de responsable dirigeant les essais en vol. J’ai apporté mon bref témoignage dans un numéro spécial hors-série de la lettre de l’Académie de l’Air et de l’Espace consacré à un hommage à André Turcat après son décès en 2016 (voir mon témoignage et le numéro spécial complet de la lettre AAE dans le portrait d’André Turcat.

Épilogue

Depuis plus de 13 ans que je suis à la retraite, je continue d’être très actif, notamment comme membre de l’Académie de l’Air et de l’Espace, membre émérite de la 3AF, expert auprès de la Commission Européenne et aujourd’hui vice-président du Scientific Advisory Body de la Joint Undertaking « Clean Aviation » à la Commission Européenne.

Je ne m’étendrai pas ici sur les grandes évolutions en marge de mon parcours, concernant les progrès techniques, les méthodes de travail, la croissance des tâches subalternes de gestion alourdissant le volume des efforts pseudo-productifs au détriment du temps de travail productif technique – ceci étant inhérent à la taille croissante des enjeux économiques et financiers. Les relations de travail ont changé, dans des organisations plus matricielles, les responsabilités se sont parfois émiettées, sont parfois devenues plus floues et fluctuantes dans des organisations souvent lourdes, compliquées et changeantes, avec un impact inéluctable sur les motivations de travail. Ceci est de nature à nuire à l’effet bénéfique des progrès considérables accomplis par ailleurs sur le plan technique et méthodologique, incluant les communications, avec des outils numériques très performants partout mis en place.

Je souhaite que des opportunités de parcours et d’expériences similaires aux miennes, aussi exaltantes sinon plus, s’offrent aux générations futures d’ingénieurs de l’aéronautique, à travers des programmes motivants, des organisations et des approches qui prennent largement en compte la dimension humaine, laquelle reste un facteur incontournable d’épanouissement des personnes et de réussite collective.

AJ