Premier vol transatlantique du 26 septembre 1973

Par Henri Perrier

C’est le 26 septembre 1973 que l’appareil de présérie 02 – F-WTSA – effectua la première traversée de l’Atlantique Nord en reliant Washington Dulles à Orly.

Le propos des lignes qui vont suivre n’est pas de raconter ce vol qui fut sans problèmes mais de le situer dans le contexte de l’avancement du programme Concorde, plus de deux ans avant la mise en service commercial.

L’avion de présérie 02 était le premier appareil qui avait les caractéristiques de formes du futur avion de série, alors que le présérie 01 n’avait pas la pointe arrière et la dérive de série, ni les tuyères à reverse aval. Au niveau des systèmes, beaucoup de travail restait encore à faire, en particulier sur la régulation des entrées d’air dont les lois ne seront acquises que fin 1974 et d’autre part, la capacité maximale des réservoirs de carburant était d’environ 8 tonnes inférieure à celle des appareils de série.

Le 02 fit son premier vol le 10 janvier 1973, et atteignit Mach 2.00 au cours du 8ème vol le 30 janvier, après quelques vols ayant permis d’augmenter progressivement le domaine de vol en vérifiant l’absence de problèmes de flottement dans la nouvelle configuration de dérive/gouvernes de direction.

Le présérie français, 02 F-WTSA en vol au-dessus des Pyrénées dans sa livrée Aérospatiale-British Aircraft Corporation. Il en changera bientôt pour être aux couleurs de British Airways à tribord et Air France à bâbord.

Très rapidement furent effectués un certain nombre de vols orientés vers les mesures de performances en croisière à Mach 2.00 avec le souci d’explorer la plus grande plage possible de températures de la haute atmosphère, certains vols étant faits en direction de l’Islande et d’autres en direction des Canaries. Dès l’exploitation de ces vols, il était clairement établi que les futurs appareils de série tiendraient les objectifs des spécifications promises par contrat à Air France et BOAC. Il était également certain que, sans attendre ces appareils de la future série, le 02 avait la capacité d’effectuer des démonstrations en traversant l’Atlantique Nord. Encore fallait-il trouver l’occasion.

Le souhait aurait été d’ouvrir le Salon de l’Aéronautique qui se tenait au Bourget du 24 mai au 4 juin par une traversée océanique en provenance de New York, comme le 001 avait ouvert le Salon de 1971 en arrivant de Dakar (ce qui pour le prototype représentait une limite absolue de rayon d’action). Mais voilà, c’est à cette occasion que s’afficha clairement l’opposition américaine qui ne fut vaincue qu’à l’automne 1977…

Au cours de ce Salon, qui devait être endeuillé le dernier jour par l’accident du TU 144, furent effectués au départ du Bourget, huit vols de 2 heures environ, au cours desquels, à chaque fois, 32 passagers invités purent apprécier un verre de champagne à Mach 2.00 dans un aménagement commercial de grand luxe réalisé dans la partie arrière de l’appareil (la partie avant étant occupée par l’instrumentation d’essais).

La luxueuse cabine arrière du Concorde 02 F-WTSA et ses 32 sièges en cuir

Certes ces vols eurent un grand succès auprès des invités – représentants de compagnies aériennes – personnalités politiques – journalistes – mais il fallait trouver l’occasion de démontrer autrement que par des vols d’essais et des notes techniques, la capacité de Concorde à effectuer un vol représentatif de sa future utilisation commerciale.

Or fin juillet, le Président Henri Ziegler fut contacté par les dirigeants du nouvel aéroport de Dallas – Fort Worth au Texas, qui invitèrent Concorde à être la vedette des cérémonies d’inauguration. Grâce aux démarches menées par le Président Ziegler et M. Bernard Lathière, à l’époque Directeur des Transports Aériens à la Direction Générale de l’Aviation Civile, il fut possible d’obtenir, à titre exceptionnel, l’autorisation d’une escale sur le chemin du retour sur l’aéroport de Washington – Dulles qui relevait de l’autorité fédérale.

Pour être agréable aux texans qui voulaient que Concorde touche pour la première fois le sol des Etats-Unis sur le terrain de Dallas et en tenant compte que la compagnie texane Braniff exploitait la ligne Caracas – Dallas, le programme de la tournée fut le suivant :
– 18 septembre : Orly – Las Palmas – Caracas
– 20 septembre : Caracas – Dallas
– 21 septembre : deux vols à Mach 2.00 sur le Golfe du Mexique avec 32 invités tous américains
– 22 septembre : vol de présentation à basse altitude sur l’aéroport de Dallas.
– 23 septembre : Dallas – Washington Dulles en subsonique
– 26 septembre : Washington – Orly. Caractéristiques de ce vol (n° 81) :
Masse à la mise en route : 176 tonnes
32 passagers invités dont M. Robert Galley, ministre des Armées et M. Pierre-Donatien Cot Directeur Général d’Air France (*)
Durée du vol : 3 h 26 dont 2 h 42 en supersonique et fin de croisière à 58000 pieds.
Temps bloc : 3 h 47

26 septembre 1973, le Sierra Alpha au roulage à l’arrivée
© collection AAMD -DR

Le chef de cette mission et commandant de bord pour la traversée Washington – Paris était Jean Franchi.

Henri Perrier

(*) On peut juger de l’audace des décideurs de l’époque et d’Henri Ziegler en particulier, en examinant la liste des passagers de ce vol expérimental.
Etaient invités, de hauts dirigeants du monde politico industriel en relation avec le programme Concorde : M. Robert Galley, ministre des armées, M. Bernard Lathière, directeur des transports aériens, M. Brasseur, chargé de missions auprès du ministre des transports, M. Weiss, conseiller auprès du président Nixon pour les questions aérospatiales, M. Harding Lawrence, Président de Braniff et Madame, M. Jim Mitchell, vice-président de la Chase Manhattan Bank, M. Pierre-Donatien Cot, directeur général d’Air France, M. Gilbert Pérol, secrétaire général d’Air France, M. Pierre Besson, directeur général adjoint d’Air France, M. Lionel Casse, commandant de bord directeur général adjoint d’Air France, M. J. Andrew, directeur général services techniques British Airways, M. Wilkinson, directeur des relations extérieures British Airways, M. Harris, directeur du marketing British Airways, M. Binning, directeur du programme Concorde, M. Henri Ziegler, président d’Aérospatiale, M. Knight, vice-président de la British Aircraft Corporation, M. Roger Chevalier, directeur technique d’Aérospatiale, M. Richard, directeur adjoint des ventes Concorde.
Une dizaine de journalistes français et anglosaxons faisaient partie du voyage : M. Bob Hotz Aviation Week, M. Duckhorn U.P., M. Huteau AFP, M. Sedbon Reuter, M. Baglin BBC, M. Dampierre ORTF, M. Michel Anfrol ORTF, M. Peyzieux France Inter, M. Mezerette Paris Match, M. Chaki, France-Soir, MM. Talbert, Sutton et Ross Mark.
Les 32 sièges passagers étaient occupés.
L’équipage était composé de : Jean Franchi, pilote et chef de mission, Gilbert Defer, pilote, Yves Pingret, mécanicien navigant, Ugo Venchiarutti, mécanicien navigant, Henri Perrier, ingénieur navigant d’essais, Claude Durand, ingénieur navigant d’essais, Jean Beslon, ingénieur navigant d’essais SNECMA, Claude Monpoint, chef steward Air France en chef de cabine et 3 PNC d’Aérospatiale.

(Infos Alexandre Pozder Musée Delta)

Claude Durand, Yves Pingret et Henri Perrier à l’arrivée à Orly