Messieurs les Français, tirez les premiers !

Par André Turcat

Ecoutons André Turcat
© Gens de Concorde – DR – Interview du 27 mai 2010 – Extraits

« Il était entendu, au moins verbalement, je ne sais pas si ça jamais été écrit, que c’étaient les Français qui faisaient le 1er vol, le 1er Mach 1 et que c’étaient les Britanniques qui faisaient le 1er Mach 2. Chacun a travaillé, freiné par les problèmes des entrées d’air et finalement, nous étions aussi prêts que les Anglais à faire Mach 2.

Ils sont partis pour le vol, ils ont fait demi-tour parce qu’ils ont eu un problème de surchauffe tuyère que nous avions expérimentée et auquel nous avions remédié. Ils ont pris ça pour un cas d’espèce, alors ils sont revenus et ils sont repartis et les mêmes causes produisant les mêmes effets, ils se sont retrouvés arrêtés par ce même problème. Nous, nous avions fait une modification et eux ne l’avait pas faite.

J’ai eu un coup de téléphone un peu dramatique avec Trubshaw qui me dit « eh bien voilà nous avons eu le même problème que vous, vous y avez remédié, nous, nous ne l’avons pas fait et maintenant nous voyons qu’il faut que nous fassions une modification » Je lui dis « bien Brian, un accord est un accord, nous avons été d’accord pour que vous soyez les premiers à faire Mach 2 nous attendrons et moi, comme ça peut poser un problème avec ma hiérarchie de dire on attend alors qu’on est prêt, je peux mettre en panne le 001 pour … disons 3 jours » Il m’a dit « André nous n’aurons pas le temps de faire la modif en 3 jours, nous n’avons pas le droit de retarder le programme, allez-y ! good luck ! »

André a fait le récit de ce vol mémorable dans son livre « Concorde essais et batailles » Le Cherche Midi

« Ce jour-là, je ne laisserai à personne la place de premier pilote. Jean Franchi est à droite. A Michel Rétif et Claude Durand se joignent encore notre camarade Jean Beslon, ingénieur navigant de la SNECMA, le meilleur connaisseur du moteur, et Hubert Guyonnet, radioélectronicien, qui suivra notre navigation.

Et tout se passe si simplement ! Côtes franchies près de Mimizan dans les Landes, le cap est bientôt pris vers l’Irlande. Je n’aurai pas à interrompre un instant la montée jusqu’à Mach 1,96, pour procéder à un dernier petit essai de réduction de chaque moteur à titre de précaution. En passant le 47e parallèle, loin au large de Nantes, vingt et une minutes après le lâcher des freins à Toulouse, le compteur du machmètre bascule lentement de 1,99 à 2,00. Nous ne perdons pas de temps d’abord à contempler le chiffre magique, mais engrangeons aussitôt des essais et des résultats.

Réduction et remise de gaz de chaque réacteur, mise en dérapage volontaire, sollicitations aux trois commandes, maniabilité à divers braquages, efforts en virage, pannes volontaires de stabilisateurs sont enchaînés. Et puis on vérifie qu’avec le réchauffement de la vitesse, l’huile des moteurs, le liquide hydraulique, le pétrole restent à température raisonnable, que les groupes de conditionnement de cabine n’ont pas trop à faire pour refroidir l’air prélevé dans les moteurs. La basse température stratosphérique arrange heureusement tout cela, pour une première, avec – 71°C à l’extérieur, la température totale, celle qu’éprouve l’avion au choc des molécules d’air, ne dépasse pas + 95°C.

Nous y restons 53 minutes. Un triomphe qui va retentir partout dans le monde. Nous sentons l’avion dans son élément et nous le prouvons. »

AT

André Turcat et Brian Trubshaw à Toulouse en 1989, à l’occasion du 20e anniversaire du premier vol
© Airbus Héritage