12 décembre 1971, alerte à la bombe sur le Concorde présidentiel

Par André Turcat

La salle du centre de contrôle régional d’Orly, dans une demi-obscurité, est peuplée d’écrans radars côte à côte en de longues rangées. Les contrôleurs, micro en main, dialoguent paisiblement avec les minuscules soucoupes lumineuses parsemées sur leurs écrans, identifiées par les lettres d’un indicatif : les échos des avions. De l’un à l’autre, lorsque les échos changent de zone, ils se « passent » les avions sous forme d’étroites bandes de papier codées et portant tous les renseignements sur l’avion, sa position, son altitude, sa destination, son heure de passage.

12 décembre 1971 Orly, le 001 présidentiel roule pour les Açores

Derrière l’un des opérateurs, je suis attentivement une tache plus rapide que les autres, accompagnée de l’indicatif Fox Whisky Tango Sierra Sierra, le T.S.S. 001. De Mantes à Nantes il prend le cap de l’Atlantique. Nous sommes le 12 décembre 1971. A son bord, le président Pompidou est allègrement en route vers les Açores, où il va rencontrer le président Richard Nixon, venu à sa rencontre dans l’Air Force One, fameux mais poussif subsonique. Un coup de panache que Georges Pompidou a imaginé, pour aller raccommoder le dollar avec le franc.

Il faut bien partager l’honneur de le conduire. Ayant baptisé le président en mai, je reste au sol aujourd’hui. Mais l’avion est encore jeune et la responsabilité lourde d’emporter pareil passager pour pareil rendez-vous. Devant l’écran radar je veille au grain.

Le grain vient derrière moi. Une main m’effleure discrètement le bras. En me retournant, j’aperçois le chef du centre de contrôle, dont je distingue dans la faible lumière les traits altérés. Il m’entraîne trois pas plus loin :

– Nous venons de recevoir un coup de téléphone. Il y a une bombe à bord de l’appareil.
– Non.
– Comment non ? C’est moi qui ai pris la communication.
– Ce n’est pas cela que je conteste, monsieur. Mais je vous dis qu’il n’y a pas de bombe à bord.
– Naturellement, ce peut être une fausse information. Mais qu’en savez-vous ?
– Écoutez, monsieur. Il est trop facile à un plaisantin ou à un malveillant de vous téléphoner cela. Je me suis même fort étonné de ne pas être importuné de la sorte, lors du premier vol du président le 7 mai. Et la seule alerte dont nous ayons été victimes date de 1969, au moment de notre retour du Bourget à Toulouse après le Salon. Les gendarmes m’ont alors empêché de rouler vers la piste et ont voulu visiter tout le prototype. Fort heureusement aujourd’hui l’avion est déjà en l’air.
– Voyons commandant, il est arrivé qu’il y ait de vraies bombes, vous savez. Et imaginez ce qui en résulterait… Il faut que l’avion fasse demi-tour.
– Non. Croyez-moi, monsieur. L’avion est resté entre les mains de nos équipes dans notre hangar la nuit dernière. Personne n’a pu s’en approcher. Et je ne pense pas qu’il était nécessaire de visiter les bagages du Président !
– Mais en prenez-vous toute la responsabilité, commandant ?
– Entièrement, monsieur.
– Alors nous allons seulement prévenir le pilote.
– Surtout pas. Laissez donc Franchi tranquille. Il a son travail, et peut-être des conditions d’atterrissage difficiles à Lajes aux Açores. (*)

Le président n’a jamais su je crois, ni les Services de l’Elysée, que j’avais endossé cette responsabilité.

AT

Extrait de « Concorde, essais et batailles » Editions Le Cherche Midi
(*) Les conditions seront effectivement difficiles voir 12 décembre 1971, « Le Tueur » par Jean Pinet.