Ted Bollen

Un géant hollandais pour commenter les flights to nowhere (*)
Par Edouard Chemel

Il a assisté aux premiers atterrissages de Concorde à Kennedy et, très vite il a été chargé des VIP à cette escale. Nous nous sommes rencontrés lors de mes premières arrivées à New York. En 1986, il a accepté mon invitation à participer aux flights to nowhere de Las Vegas, San Diego, Reno, Sacramento, Vancouver et Seattle. À bord, il commentait le vol en anglais. C’était le correspondant idéal pour les affréteurs qui vendaient ces vols sur le Pacifique. Nous avons partagé ensemble cette belle aventure des vols spéciaux aux États-Unis.

On a appris à se connaître, et un jour il m’a raconté une partie de sa vie. Il fait partie de ces anonymes qui, à Air France, ont été des personnalités très importantes avec discrétion et humilité. Né en Hollande, ce géant était parti aux États-Unis à la recherche d’un job tout en continuant ses activités de radioamateur. En 1943, il avait été embarqué comme radiotélégraphiste à bord des liberty ships qui traversaient l’Atlantique pour ravitailler les troupes américaines en Europe, en armes et en munitions. Il avait fait beaucoup de voyages et racontait : « En juin 1944, un officier passe dans notre chambrée et demande aux marins présents : Who wants to be an American citizen ? Mon rêve était là, je lui ai fait signe et j’ai précisé à sa demande que je parlais le néerlandais, le français et l’anglais couramment. L’officier m’a alors annoncé que je ferais partie du Débarquement. A ma demande : Dans combien de temps ? il m’a répondu : Demain matin ! »

Ce matin du 6 juin 1944, il avait été dans une des premières chaloupes. Il était passé à travers toute cette mission cruelle. Quarante ans après, il était retourné avec sa femme et sa fille sur les plages du débarquement. Il avait visité plusieurs villages, quand tout d’un coup il avait entendu crier : « Teddy ! » C’était une vieille dame qui tenait un bistrot où il avait l’habitude d’aller. Il avait été bouleversé.

En rentrant aux États-Unis, il avait été embauché par Air France. En 1946, il avait assisté à l’atterrissage du DC-4 de la première liaison de Paris à l’aéroport de La Guardia. Il a fini sa carrière à l’escale de New York pour l’accueil des passagers importants. Il les connaissait tous et prévenait leurs besoins avec sa gentillesse et son calme…

Pour les flights to nowhere, il avait une technique incroyable. Il remontait la cabine en marche arrière, comme les hôtesses, pour souligner la montée vertigineuse de cette machine légère lors de ces vols de deux heures. Il offrait une animation continue dans la cabine, avec beaucoup d’attention et de tendresse. Il demandait : « Passenger seating at row 13, rise your hand ». Dès la main levée, il annonçait : « Vous êtes assis(e) sur le siège préféré de Henry Kissinger. »

Quand tu fais des vols avec des gens comme ça à bord, c’est formidable. Il était très aimé par tous les navigants et faisait partie de la grande famille Concorde. Pour le dernier vol du F-BVFA vers le musée de Washington, Mme Bollen était mon invitée, assise près de moi au premier rang de la cabine arrière. Nous avons partagé un moment merveilleux. Cette femme simple était l’expression de la gentillesse que j’avais tant aimée chez Ted.

Extrait de « Concorde mon amour » d’Edouard Chemel. Editions Privat

(*) Flight to nowhere : une autre appellation pour les vols spéciaux de type boucle c’est à dire sans destination autre que le retour au terrain de départ