Pierre Grange

Né le 14 septembre 1946, j’ai été pilote de ligne et pilote d’essais, parfois les deux en même temps. J’ai pu accéder au métier de pilote de ligne en intégrant le stage A8 en septembre 1965 à l’ENAC d’Orly (Ecole Nationale de l’Aviation Civile). Je suis passé directement du Lycée (Math Sup Grenoble) dans les cockpits. C’était une époque où l’on pouvait être formé à ce métier sans ressources personnelles ; nous recevions même un petit salaire. Cette formation « ab initio » était audacieuse car, jusqu’à cette époque, les pilotes de ligne étaient d’anciens pilotes militaires. Le cursus durait 4 ans et demi. Air France effectuait la dernière année de formation en ligne sur Caravelle ce qui m’a permis de découvrir la grande maison au printemps 69 à Orly.

A compter du 1er avril 1970, j’effectue un service militaire de 17 mois dans l’Aéronavale, affecté principalement sur la Base Aéronavale d’Hyères le Palyvestre. Enseigne de Vaisseau de 2ème classe lors de mon retour à la vie civile, j’ai effectué plus de 600 heures de vol sur Nord 262 et Bréguet Alizé, pratiquement tout en commandant de bord. Merci la Marine !

Le 1er septembre 1971, j’entre à Air France comme copilote sur Caravelle. Rapidement, je vais découvrir le long-courrier sur Boeing 707 puis 747. Chaque année, en remplissant les fiches de désideratas professionnels, je coche, sans réfléchir, la case Concorde. Et un jour d’été 1984 le Bureau des Carrières m’appelle et me dit : début de stage Concorde dans 2 mois. Un coup de fil qui va changer ma vie. S’en suivent 5 années tout à fait extraordinaires. Concorde est alors à maturité. Il parcourt le monde et se rend sur tous les continents. Je n’ai connu certaines escales comme Sydney ou Bali qu’en Concorde. Les lignes déficitaires ont été fermées et tous les vols sont remplis avec même du “surbook” vers New-York. Un avion de ligne normal même si, sur Concorde, aucun vol n’est anodin.

Dès 1986, je suis nommé « chargé de mission » et fais partie du premier groupe de copilote IPL (instructeur pilote de ligne). J’interviens en qualification Concorde à Toulouse sur la partie CADV (commandes automatiques du vol). Je participe à de nombreux vols présidentiels et découvre alors la pression « médiatico-protocolaire » qui entoure ces missions et la nécessité d’y résister.

En 1987, « on » commence à me dire que je suis pressenti pour un stage pilote d’essais ; j’y pense et puis j’oublie … jusqu’à ce jour de printemps 88 où je me retrouve, à Istres, sanglé dans un Alpha-Jet pour passer le contrôle en vol d’aptitude essais. La rentrée des classes à l’EPNER (Ecole du Personnel Navigant d’Essais et de Réception) a lieu début septembre 1988 avant une année folle : cours en salle le matin, vol d’applications l’après-midi, des mètres et des mètres de comptes-rendus et chaque mois un aller-retour Paris New-York dans la journée en fonction pilote sur Concorde pour ne pas perdre la sacro-sainte ancienneté Air France.

A la sortie de l’EPNER, en juillet 1989, je passe CDB sur A320 tout en travaillant pour le compte du CEV (Centre d’Essais en Vol) à la certification d’avions civils. Je serai en particulier un des 3 pilotes JAA (Joint Aviation Authority européenne) désignés sur les programmes Airbus A340 et A330. Cette activité me permettra de retrouver Concorde en avril 1993 pour le vol de certification du système anticollision TCAS, là aussi au titre européen en tant que pilote d’essais JAA.

En 1993, je quitte le CEV pour revenir à 100% à Air France, en charge dans la nouvelle équipe des Opérations Aériennes des « normes et standards opérationnels » ainsi que de sécurité des vols. Je retrouverai Concorde après l’accident du 25 juillet 2000 en participant à l’enquête BEA et en étant le pilote d’essais EADS en charge des deux campagnes de remise en vol de l’avion à Istres début 2001. En juillet 2003 je pousserai une dernière fois les manettes de Concorde pour effectuer, à la demande de la Justice, quelques accélérations arrêts à Toulouse Blagnac (voir “16 juillet 2003, la dernière accélération du Fox Charlie”).

A mon départ en retraite, je totalise un peu plus de 18500 heures de vol dont 846 aux essais en vol. J’ai effectué sur Concorde 1360 heures de vol comme copilote à Air France et 19 heures en commandant de bord au titre essais en vol. Ce sont mes médailles.

Depuis 2006, je continue à voler en aéroclub, j’approche des 19 mille heures et me consacre à l’action de l’APCOS. En tentant de faire savoir ce qu’a été vraiment Concorde, je le sers une dernière fois.

Pierre Grange
Février 2021