Mon premier contrôle de caisse ou …

… les surprises d’un premier vol en ligne sur Concorde

Par Pierre Grange

Il est bientôt 23 heures ce 27 décembre 1984 ; nous sommes au bloc, en Alpha 18, à Charles de Gaulle. Nous arrivons de New York à l’issue de mon premier vol en adaptation en ligne sur Concorde. Durant ces 2 jours j’ai – enfin – découvert le vol supersonique. Sur le plan technique c’est très différent du même vol en 747 mais je ne suis pas trop surpris car toutes ces particularités ont été abordées au cours de la qualification débutée depuis la mi-septembre, plus de 3 mois déjà. Ce que je découvre, en vérité, au cours de cette première rotation, et qui me surprend réellement, ce sont ces mille particularités qui rendent la vie sur Concorde si attachante.

En premier lieu, ce qui marque vraiment cet avion, c’est l’esprit équipage qui y règne. Nous étions 9 à partir pour la même mission, c’était clair ! En quelques semaines, je connaîtrai toutes celles et ceux, PNT comme PNC, qui sont affectés sur l’avion car nous volons régulièrement ensemble du fait du faible effectif. Voler avec des ami(e)s m’apparaît, avec le recul, comme le vrai luxe de Concorde. Dès la première arrivée à New York, je me rends compte que tout le monde se connaît. J’en ai la preuve dès ce premier vol. Du fait des horaires de cette époque, nous croisons l’équipage « montant » dans le hall de l’hôtel à Manhattan. Ceci autorise un bon quart d’heure d’échanges, bisous, petites nouvelles, etc. Ce 26 décembre, engoncé dans ma gabardine, la casquette sous le bras, je suis tout de suite repéré : « Tiens un nouveau ! » me dit le copilote retour en me découvrant face à lui. Impensable sur un autre avion.

Si l’esprit équipage est excellent sur Concorde, c’est que durant le vol, chacun est bien occupé par son métier. Devant comme derrière, on s’attache à bien faire son boulot pour que la performance technique et commerciale soit parfaite. Lorsque l’avion est plein en passagers, ce qui est souvent le cas sur l’étape Paris – New York, la charge de travail en cabine est très élevée. On le réalise depuis le cockpit. Le steward de l’avant se démène dans le petit espace qui lui incombe. Nous entendons les portes de four claquer. Au cockpit, en arrivant par le travers de Boston, nous sommes sereins : nous avons été gâtés durant le vol (on ne dira jamais assez de bien du steward de l’avant appelé communément « stioud’galley »). Briefing et préparation de l’arrivée terminés, nous sommes prêts à entamer la descente vers Kennedy. C’est le moment que choisit la Chef de Cabine pour « faire le point » et je l’entends encore trotter vers l’arrière en disant à la cantonade : « dépêchons ! dépêchons ! on descend dans 5 minutes ! ».

Dans ces années-là, seul un rideau nous cachait, en croisière, la vue des passagers. La porte du cockpit était constamment ouverte ; y en avait il une d’ailleurs, c’est à se le demander ? Lors de l’embarquement à Paris, j’entends les PNC accueillir nos passagers et le ton m’interpelle : il me semble que pour grand nombre d’entre eux, ils se connaissent et se retrouvent avec plaisir. Ce ne sont visiblement pas les mêmes clients que sur 747 ! En réalité je m’apercevrai bientôt que même les passagers sont fanas de Concorde. Unique !

Durant le vol aller, je grignote en vitesse, un brin stressé par la vitesse de défilement des points tournants, la météo de la Côte Est et le suivi conso tout à fait inhabituel. Me voyant renvoyer mon plateau à peine entamé, le mécanicien navigant – ancien sur la machine – me dit alors avec humour : « Tu verras, tu seras vraiment lâché lorsque tu mangeras le chaud ».

Et puis l’arrivée à Kennedy à la première heure, les couloirs déserts, les formalités expédiées à toute vitesse, le personnel de l’escale si amical en ce début de journée, la commande du repas pour le retour (une grande exclusivité réservée au PN Concorde), tout cela est bien nouveau pour moi qui ne connais cette escale qu’en fin d’après-midi, dans la cohue des arrivées de gros porteurs.

Le lendemain, faire un footing et voir se lever le soleil sur le grand bassin de Central Park, puis se retrouver à quelques un(e)s pour aller déjeuner à l’extérieur de l’hôtel, croiser l’équipage « descendant » de Paris et, à l’aéroport, faire l’ouverture des vols vers l’est, tout cela est bien différent d’un New York habituel.

Le vol retour, ce 27 décembre, a un côté spectaculaire. Il fait très beau. Cela commence avec la fameuse procédure antibruit face à Manhattan, un bel exercice de pilotage à 3, puis nous passons le Mach moins de 10 minutes après le lift off. Je vois ensuite mon premier coucher de soleil ou plus exactement lever de nuit à grande vitesse. Un spectacle dont on ne se lasse pas avec des variations de couleurs allant du mauve au bleu nuit s’assombrissant rapidement.

Après l’arrêt des moteurs et la lecture de la dernière check-list, ce 27 décembre, je pense donc être au bout de mes surprises. Tout en finissant de boucler mes affaires j’entends une annonce au « public adress » disant « Y a contrôle de caisse à l’arrière ». Bizarre ! D’habitude, les caisses de bord sont contrôlées au bâtiment des Opérations Aériennes. Et devant mon incompréhension, « on » me dit : il faut aller à l’arrière … Et en plus tout le monde est concerné par cette affaire ? Me dis-je.

C’est en arrivant au niveau des derniers sièges que je m’aperçois qu’un bar est sommairement aménagé sur quelques dossiers rabattus, que des verres sont alignés et que tout l’équipage est réuni pour sabler, avec les restes de Champagne du vol, la fin de la mission. Même si aucune photographie n’a été prise ce jour-là pour immortaliser l’évènement, ce n’était pas toujours le cas. Je crois qu’on pourrait faire un livre de belles images de « contrôles de caisse ». En voilà une, que j’ai prise quelques années plus tard et qui regroupe l’équipage du vol ainsi qu’un de nos invités : M. Roger Chabert qui avait été autorisé par la Compagnie à nous accompagner sur ce vol après avoir travaillé efficacement sur la documentation Concorde.

Pierre Grange

Photo prise à l’arrivée du vol AF002 (JFK – CDG) le 6 juillet 1988, on reconnait, de gauche à droite :
1er rang : Christiane Burgues, Roger Chabert, Gilbert Barbaroux
2ème rang : Edouard Chemel, Brigitte Kruse, Michel Caudron, X
3ème rang : Y, Michèle Corsaut