Arrêt de la Cour d’appel de Versailles rendu le 29 novembre 2012

Arrêt de la Cour d’Appel de Versailles (texte intégral).
Ce sera l’épilogue de l’affaire Concorde. Une remarque préalable : dans la rédaction ci-dessous, Tribunal correspond au Tribunal de Grande Instance de Pontoise et la Cour à la Cour d’appel de Versailles. Les parties en italique sont extraites de l’Arrêt de la Cour de Versailles ou du Jugement du Tribunal de Pontoise.


Suivi de navigabilité.

Comme pour le jugement en 1ère instance, la question de la responsabilité des prévenus en charge du suivi de navigabilité de Concorde, MM Jacques Hérubel et Claude Frantzen, tourne autour de l’étude des évènements précurseurs. La Cour considère qu’en cas d’éclatement de pneu, Concorde présente 3 risques : perforation d’un réservoir donc fuite de carburant, incendie et grave déficit de poussée en cas de pompage de deux moteurs, un phénomène possible sur des moteurs jumelés.

Concernant les pneus, la Cour estime « … que le traitement des causes des éclatements a été très mauvais au regard de l’expérience en service qui était connue mais dont personne n’a tiré les enseignements qui s’imposaient et ce pour des raisons strictement financières » (p.216). Elle infirme donc ce qu’avait retenu le Tribunal à ce sujet, qui considérait « que le traitement des causes de l’éclatement des pneumatiques a été effectué dans des conditions acceptables… ».

Sur le mode de perforation, le 25 juillet 2000 la peau de réservoir a été déchirée par une pression venant de l’intérieur du réservoir faisant suite à un impact en un autre endroit. A l’examen de l’incident du 15 novembre 1985, de longs débats avaient occupé le Tribunal pour savoir si la rupture survenue était du même type. La Cour reprend sans s’attarder les conclusions du Tribunal : « la crique [du 15 novembre 85] apparaît avoir été causée à l’intérieur de la structure par un impact venu de l’extérieur et au même endroit » (p.152). Ce point confirme que le mode de rupture du 25 juillet ne s’est jamais produit précédemment.

Concernant le risque incendie :
La Cour rejette la thèse défendue par Continental d’un incendie survenu avant l’éclatement du pneu. « Rien dans l’exploitation des enregistreurs de vol, ni dans les traces relevées au sol, ne permet d’affirmer qu’il se serait passé quelque chose d’anormal susceptible de conforter l’hypothèse d’un feu avant l’explosion du pneu » (p.183).
Comme le Tribunal de Pontoise, elle juge que les prévenus [Hérubel, Frantzen] ont fait montre de négligence suite aux incidents de 1993 (p.227) « Il s’agit là incontestablement d’une faute de négligence qui, cependant, ne revêt pas une intensité telle qu’elle puisse constituer une faute caractérisée » (p.228)

Pour le traitement du risque de perte de poussée de 2 moteurs. « Il ne peut être reproché aux constructeurs et aux autorités administratives […] d’avoir négligé l’appréciation du risque de perte de poussée » (p.228)

La Cour relaxe au pénal les prévenus Hérubel et Frantzen tout en se montrant très critique envers les entités en charge du suivi de navigabilité (constructeurs, compagnies aériennes et Autorités). Cela fait l’objet d’observations générales (p.275), lues en séance par la Présidente Mme Luga lors de l’énoncé de l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles, le 29 novembre 2012 :

« Au terme du travail d’analyse et de synthèse effectué, la Cour souhaite faire les observations générales suivantes :
S’il n’est pas contestable que le chaudronnier et le mécanicien américains ont commis des fautes aux termes des motifs adoptés par la Cour, celle-ci estime qu’il ne saurait toutefois être considéré que la perte du wear strip sur la piste de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle est le seul phénomène majeur qui doive retenir l’attention dans un tel dossier.
La Cour rappellera que les enquêteurs ont retrouvé de nombreux objets d’équipement d’avions sur les bas-côtés de la piste 26D.
La Cour considère que si les FOD [Foreign Object Damage] sur les pistes d’aéroports ont été dénoncés dès les années 1980, ils ont constitué pour l’aéronef Concorde une menace particulière constante et connue des acteurs de la navigabilité, au travers de 25 années d’exploitation émaillées de nombreuses blessures aux pneumatiques suivies de conséquences plus ou moins graves.
Elle considère inacceptable que cet aéronef ait pu conserver son certificat de navigabilité sans que les mesures qui s’imposaient ne fussent prises tant au niveau du changement des pneumatiques que de la protection de ses réservoirs les plus exposés.
La Cour considère que des facteurs liés à la dualité des autorités administratives et des constructeurs, la mauvaise qualité de l’organisation française relative à la certification et au suivi de navigabilité, les rapports de force tant en interne au niveau français qu’entre les deux pays au niveau politique, ainsi que les préoccupations économiques et financières récurrentes ont participé à un suivi de navigabilité qui n’a pas été à la hauteur de l’exceptionnelle technologie qui a permis la réalisation du projet Concorde.
La Cour considère enfin que cet aéronef a été vécu comme une sorte de boulet, sur un plan purement économique, mais aussi en fonction de ses exigences techniques très élevées qui sont apparues au fil du temps en exploitation, et devant lesquelles les uns et les autres, bien que conservant chacun leur pouvoir et leur liberté d’initiative et d’action, semblent s’être confortés dans une acceptation résignée d’une situation à laquelle il était nécessaire de remédier ou à laquelle il fallait mettre un terme. »


La lamelle.

Comme en première instance, l’autre grand débat concerne la bande d’usure perdue par le DC10 de la Continental Airlines qq minutes avant le décollage de l’AF4590 et considérée comme l’élément causal initial de la catastrophe. Le chaudronnier John Taylor qui a effectué le remplacement de cette pièce, son supérieur Stanley Ford ainsi que la Compagnie Continental Airlines sont mis en cause à titre pénal et civil.  

John Taylor et la Compagnie Continental Airlines avaient été condamnés pénalement pour des « fautes de négligence commises par ses organes ou représentants ». La Cour est revenue sur cette décision :
John Taylor est relaxé pénalement au motif qu’il ne pouvait « … anticiper ce scénario qu’une simple lamelle de titane pouvait entraîner sur un avion [Concorde] dont rien ne démontre qu’il en connaissait les spécificités techniques et évènementielles, une catastrophe telle que celle du 25 juillet 2000. »
– Continental Airlines était mise en cause au travers des agissements de Stanley Ford et de Kenneth Burth. La Cour ne retient « aucune faute de négligence à l’encontre de Kenneth Burth susceptible de mettre en cause la responsabilité pénale de Continental Airlines » (p.268). Quant à Stanley Ford, ne pouvant être qualifié de représentant de Continental Airlines, « il est insusceptible au regard de la faute légère dont il s’est rendu coupable, d’avoir pu engager la responsabilité pénale de son employeur » (p.272)

En conséquence, les peines prononcées par la Cour d’Appel de Versailles (p.325 à 332) sont les suivantes :  

Sur l’action publique (pénale) :
– Relaxe MM Jacques Hérubel, Claude Frantzen, Stanley Ford et John Taylor ainsi que la société Continental Airlines

Sur l’action civile :
– Confirme le Tribunal pour les dommages et intérêts attribués à la FENVAC (8000€) et Air France (1.000.000€) et réforme le reste :
– La société Continental Airlines, civilement responsable de John Taylor et Stanley Ford, est condamnée à indemniser les parties civiles (voir le détail des amendes p.328 & 331).

Il était une fois Concorde!

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