Mach 2.23 pour Concorde

Par Pierre Grange

Lorsqu’on étudie l’aérodynamique supersonique, on fait une découverte surprenante : un avion supersonique n’a pas de plafond aérodynamique ! C’est assez simple à comprendre : lorsqu’un appareil a passé le « mur du son », il « sait » voler en supersonique et n’est plus limité en vitesse. S’il atteint son plafond à un certain Mach, il lui suffit d’accélérer pour pouvoir monter encore. Il ne faut pas croire pour autant que son domaine de vol soit infini. Deux limitations vont se présenter à lui : la poussée de ses moteurs et la température.

Pour aller plus vite, il faut de la poussée supplémentaire. Le moteur Olympus qui équipe Concorde est un turboréacteur qui ne peut absorber que de l’air à vitesse subsonique. L’entrée d’air ralentit le flux à Mach 0.6. Mais si l’avion dépasse trop Mach 2, elle n’y arrivera plus. C’est elle qui, in fine, va limiter Concorde en vitesse.

Lors des essais de mise au point et de certification des entrées d’air à Casablanca, il fallut déterminer le Mach maximal que ces entrées d’air pouvaient supporter en vol rectiligne. Gilbert Defer qui en fut un acteur a raconté pour Icare cette phase cruciale des essais en vol de Concorde. Le proto 001 avait atteint Mach 2.16 le 2 février 1973, ce qui n’était déjà pas mal, mais l’on en attendait plus avec l’avion de série. C’est là qu’intervient la deuxième limitation : la température. On sait que la peau de Concorde ne supporte pas plus de 127°C, une limitation que, même aux essais en vol, il n’est pas question de transgresser. La redoutable formule de l’échauffement cinétique : Tt = Ta (1+0.2M2) (*) dit que, dans des conditions de température standard (-55°C), on atteint la limitation de 127°C dès Mach 2.04. Pour aller tester les Mach élevés, il faut donc trouver un air très froid.

Bizarrement, c’est à l’équateur que la stratosphère est la plus froide. C’est la raison pour laquelle la campagne d’essais et de certification des entrées d’air s’est déroulée à Casablanca. Cap au sud, le Concorde pouvait rapidement passer en supersonique et rejoindre ce qu’André Turcat nommait « les stratosphères libres et tropicales ».

Le 17 octobre 1974, dans une atmosphère proche des -80°C, le 1er Concorde de série, le Sierra Bravo, atteignait Mach 2.23, déclenchant un pompage quadruple à 1380 nœuds de vitesse sol, un peu plus de 2500 km/h. L’équipage était composé de Gilbert Defer et Jean Franchi en pilotes, Yves Pingret et Bernard Kamps en mécaniciens, Henri Perrier et Jacques Devin en ingénieur d’essais. Infos lesvolsdeconcorde.com.

On peut imaginer l’appréhension de l’équipage à l’approche de cette ultime barrière ainsi que le bruit assourdissant et les vibrations phénoménales ressenties alors. « De quoi créer des souvenirs … » avait sobrement commenté Gilbert qui était aux commandes.

PG

(*) La formule Tt = Ta (1+0.2M2) donne la température totale Tt à partir de la température ambiante Ta et du nombre de Mach M. On remarque que l’augmentation de température est fonction du carré du Mach, ce qui explique la fournaise du vol supersonique. Les températures sont exprimées en degrés Kelvin : T° Kelvin = T° Celsius + 273°.