L’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles

Par Pierre Grange

Le 29 novembre 2012, l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles mettait un point final aux enquêtes et procès qui ont suivi l’accident du 25 juillet 2000. Concorde pouvait alors définitivement entrer dans l’histoire.

Sur le plan pénal, la Cour, si elle relaxe tous les prévenus, personnes physiques comme morales, se montre très critique envers les entités en charge du suivi de navigabilité c’est-à-dire les constructeurs, les compagnies aériennes et les Autorités. Lors de l’énoncé de l’arrêt, la présidente, Madame Luga, tient à lire en séance le paragraphe intitulé « observations générales » :

« Au terme du travail d’analyse et de synthèse effectué, la Cour souhaite faire les observations générales suivantes :
S’il n’est pas contestable que le chaudronnier et le mécanicien américains ont commis des fautes aux termes des motifs adoptés par la Cour, celle-ci estime qu’il ne saurait toutefois être considéré que la perte du wear strip [lamelle provenant du DC10 de Continental Airlines] sur la piste de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle est le seul phénomène majeur qui doive retenir l’attention dans un tel dossier.
La Cour rappellera que les enquêteurs ont retrouvé de nombreux objets d’équipement d’avions sur les bas-côtés de la piste 26D. La Cour considère que si les FOD [Foreign Object Damage] sur les pistes d’aéroports ont été dénoncés dès les années 1980, ils ont constitué pour l’aéronef Concorde une menace particulière constante et connue des acteurs de la navigabilité, au travers de 25 années d’exploitation émaillées de nombreuses blessures aux pneumatiques suivies de conséquences plus ou moins graves.
Elle considère inacceptable que cet aéronef ait pu conserver son certificat de navigabilité sans que les mesures qui s’imposaient ne fussent prises tant au niveau du changement des pneumatiques que de la protection de ses réservoirs les plus exposés.
La Cour considère que des facteurs liés à la dualité des autorités administratives et des constructeurs, la mauvaise qualité de l’organisation française relative à la certification et au suivi de navigabilité, les rapports de force tant en interne au niveau français qu’entre les deux pays au niveau politique, ainsi que les préoccupations économiques et financières récurrentes ont participé à un suivi de navigabilité qui n’a pas été à la hauteur de l’exceptionnelle technologie qui a permis la réalisation du projet Concorde.
La Cour considère enfin que cet aéronef a été vécu comme une sorte de boulet, sur un plan purement économique, mais aussi en fonction de ses exigences techniques très élevées qui sont apparues au fil du temps en exploitation, et devant lesquelles les uns et les autres, bien que conservant chacun leur pouvoir et leur liberté d’initiative et d’action, semblent s’être confortés dans une acceptation résignée d’une situation à laquelle il était nécessaire de remédier ou à laquelle il fallait mettre un terme. »

En faisant cette analyse, la Cour confirme ce que nous étions nombreux à penser : aucune personne physique ne pouvait être considérée comme responsable pénalement de cette catastrophe. En revanche, et c’est la nouveauté, elle critique le système de suivi de navigabilité dans son ensemble car c’est lui qui aurait dû remédier plus tôt au risque de l’éclatement d’un pneu sur Concorde.

Certains ont mal compris cette décision de relaxe générale qui donnait l’impression qu’aucune faute n’avait été commise. C’est confondre actions publique (ou pénale) et civile. Les deux étaient jugées simultanément à Versailles. Sur le plan civil, les amendes ont été nombreuses à l’encontre de Continental Airlines et de ses employés à l’origine du défaut de pose de la lamelle sur le DC10 concerné. Dans son arrêt, la Cour détaille les différentes indemnités accordées aux plaignants (voir le détail des amendes pages 328 à 331 de l’arrêt).

En évoquant les procès qui ont suivi l’accident, nous avons tous une pensée pour Henri Perrier disparu en mai 2012, lui qui avait tant souffert d’être mis en examen. Il s’était battu courageusement pour sauver son honneur et avait été relaxé en première instance à Pontoise en 2009.

PG

Pour tout savoir sur l’accident, l’évènement proprement dit ainsi que les enquêtes et procès qui ont suivi, vous pouvez consulter le grand dossier ACCIDENT, ENQUETES & PROCES qui, sur la base de faits démontrés et, en se reportant à des documents officiels, permet de mieux comprendre cette catastrophe.

La tragédie du vol AF4590 par Pierre Juin