Par André Turcat
Le prototype Concorde 001 effectue un très médiatique « roll out » le 11 décembre 1967. Ceux qui sont dans l’intimité du programme savent que le 1er vol n’est pas pour tout de suite, même si Bernard Dufour, le directeur des usines Sud Aviation Toulouse, a fait apposer dans le hall de montage du 001, un panneau annonçant : « Premier vol, 28 février 1968 ».
Le prototype ne dispose pas encore de ses trains d’atterrissage. La photo est donc antérieure à mars 1967. A gauche, le panneau annonce fièrement un premier vol le 28 février 1968.
On aperçoit André Turcat et sa “Turcat Méry”. © Airbus Heritage
Les évènements de mai 68 ne vont pas favoriser le calendrier même si, pour Concorde, les piquets de grève seront compréhensifs. Ce n’est qu’en juillet que l’avion est équipé de ses premiers moteurs Olympus 593 aptes au vol. Finalement c’est le 20 août 1968 que, pour la première fois, Concorde se déplace par ses propres moyens au cours de la campagne de roulage basse vitesse. Ecoutons André Turcat :
« Puis l’avion reparut hors du hangar, au moment où la France partait en vacances. Mais nous étions trop heureux de n’en pas prendre et, des compagnons de piste aux navigants, de donner vie au 001, de mettre en route ses quatre moteurs, soixante tonnes de poussée.
Bien des essais au point fixe encore, auprès du silencieux de piste qui se refusait à accepter le jet des réacteurs. Du moins ces longues séances se déroulaient elles dans un coin lointain du terrain, le coin qui avait vu et entendu les essais de Caravelle, assez isolé pour que depuis longtemps il eût été baptisé Bikini.
Enfin, le 20 août 1968, l’équipage du Premier Vol montait à bord pour le roulage n° 1, effectué devant la presse. Brian Trubshaw, grillant de la même impatience, nous accompagnait. A 10 h 30, je faisais enlever les cales. Oh ! le programme était raisonnable, mais déjà plein de petites inconnues, et chaque point réclamait une appréciation, doublée bien sûr de cent mesures. Relâchement des freins, manœuvre de la roue avant orientable aux différents braquages. Roulage sur le blanc chemin de béton et attaque lente des virages. Le pilote, très déporté en avant des roues, suivait son axe de roulage sur l’écran d’une télévision dont on avait placé la caméra sur le fût du train avant. Alignement sur la piste. Direction de l’avion dans les conditions normales ou de panne. Accélération bien prudente à 60 km/h. Surveillance de réchauffement des freins. Puis, ces exercices terminés et les moteurs coupés, présentation de l’avion, tracté, dans le filet de la barrière d’arrêt.
Au cours des jours suivants, le programme devint plus ambitieux. Équipage et machine s’accordaient. Déjà la télévision de roulage paraissait superflue. Les vitesses atteintes augmentaient. Les réacteurs fonctionnaient bien, et l’accélération sur la piste était merveilleusement puissante. C’est le ralentissement qui allait moins bien. Le parachute se déployait mais pas assez vite. La réverse des réacteurs fonctionnait, mais les nacelles moteurs chauffaient trop à ce moment-là. Chauffaient surtout les freins, sans parler de leurs à-coups ou de leur mauvais relâchement. Des roues se bloquaient. Il fallut limiter les vitesses, malgré les petites modifications tentées jour après jour. Il était visiblement nécessaire, pour commencer, d’équiper toutes les roues de ventilateurs pour refroidir les freins après usage. Ils y resteront toujours, reconnaissables à leur sifflement que l’on peut remarquer en descendant de l’avion. »
Le 1er équipage Concorde: Michel Rétif, André Turcat, Henri Perrier et Jacques Guignard
Au cours de ces roulages, le prototype allait atteindre des vitesses maximales de 120 nœuds soit 220 km/h. André Turcat poursuit :
« C’était important pour tous, bien sûr, pour moi davantage encore. Au début de l’année, le premier fonctionnement au point fixe, cette première manette des gaz déjà puissante entre mes mains, m’avait fait un choc. Pas seulement de joie ou de fierté. Mais la lourdeur de ma responsabilité m’était subitement devenue sensible. Entre ces mains, avec toute ma tête et mes nerfs, je tiendrai plus qu’un autre le sort du projet, et celui des dizaines de milliers d’hommes et de femmes qui lui étaient liés. Je crois que mes camarades ont éprouvé cela, eux aussi. Dans l’action maintenant, au cours des roulages, nous venions de nous sentir mieux à notre affaire, ragaillardis, et non pas oublieux mais déjà maîtres de notre responsabilité. »
AT
Extraits de « Concorde, essais d’hier, batailles d’aujourd’hui » Edition Le Cherche Midi
Merci à Pascal Chenu pour les photos ©Airbus Heritage