Dès l’ouverture de la ligne Paris – New York en Concorde le 22 novembre 1977, les vols se succèdent quotidiennement avec une belle régularité, à l’exception de quelques-uns, comme celui du 28 décembre 1977 (mon 3ème New York en tant qu’OPL sur cette nouvelle ligne supersonique).
Pour ce vol AF 001 du 28 décembre 1977 nous aurons le Concorde F-BVFD. L’équipage est constitué du commandant de bord André Duchange, de l’OMN Gilbert Barbaroux et de moi-même en pilote. Nos amis PNC sont le chef de cabine Bernard Boissonnet, les hôtesses Gilquin, Nicole Hohenwarter, Geneviève Legentil, les stewards René Rueda (le savoyard) et Jean-Claude Lhoste.
André Duchange me propose de piloter à l’aller – un grand plaisir pour moi – et de faire l’arrivée à JFK. Nous décidons l’emport de 92,7 tonnes de carburant, nous avons 89 passagers, la météo est prévue bonne à l’arrivée. L’horaire est 10h00 GMT. Nous quittons le parking à 09h59, une belle ponctualité habituelle. Le roulage, le décollage et la montée vers 29 000 pieds se passent normalement. Nous calculons le point à partir duquel nous pouvons accélérer en supersonique sachant que le point à protéger à partir duquel le premier bang sonique « tombera » en mer est à 56 milles nautiques après la balise d’Evreux.
Concorde en accélération sur la Manche
Nous trouvons, ce jour, en fonction de la masse avion, du vent et de la température extérieure, un début d’accélération à 25 milles nautiques après la balise d’Evreux. Check-list accélération effectuée, les réchauffes (post combustion) sont actionnées 2 par 2. Mach 1 passe lentement comme d’habitude et croit vers Mach 1.3 et 1.4.
Brusquement le gong signalant une alarme retentit : le voyant ambre « ENG » (Engine) s’allume au panneau central d’alarme et le voyant ambre « WING-NAC » (Nacelle) au panneau mécanicien s’allume aussi. Notre OMN Gilbert nous annonce : « alarme surchauffe nacelle sur le moteur 1 ». Il lève le doute en vérifiant le bon état du système d’alarme. La température de la nacelle du moteur 1 a atteint les 400°C (seuil de déclenchement de la détection). Nous effectuons la check-list concernée par cette alarme, laquelle impose la coupure de ce réacteur, avec pour conséquence l’arrêt de l’accélération transsonique, le demi-tour et le retour vers Roissy sur 3 moteurs. André Duchange me demande de garder les commandes pour ce retour, afin de gérer la panne avec le mécanicien.
Le contrôle aérien anglais est informé de notre problème par le message conventionnel « PAN-PAN » (panne panne) trois fois. Le passage en subsonique est rapide et nous mettons le cap sur Roissy. Le chef de cabine est mis au courant et informe les passagers qui, très calmes, n’ont rien ressenti et apprécient le champagne qui leur est servi. La Compagnie est contactée.
Nous avons décollé à une masse d’environ 180 tonnes. Au moment de la panne, nous pesons encore environ 170 tonnes et nous devons nous poser à 130 tonnes maximum. Il faut préciser que la masse maximum à l’atterrissage est 111,1 tonnes, mais que les services officiels nous autorisent, en cas d’urgence, un atterrissage à une masse majorée à 130 tonnes.
Durant le trajet retour nous vidangeons donc à l’extérieur, 40 tonnes de carburant. La charge de travail est importante, le vol et l’atterrissage sur 3 moteurs se passent bien. Pendant le roulage nous sommes escortés jusqu’au parking par un camion de pompiers. Nous nous garons à la porte d’embarquement à 11h36. Cette petite boucle sur la Manche aura duré 1 heure 37. Un autre avion nous attend, le F-BVFA (il a été préparé après notre message, plein effectué avec 95,2 tonnes de carburant). Le transfert des passagers et des bagages se passe bien et 1 heure 25 après notre retour, à 13h01, nous quittons de nouveau le point de stationnement. Comme chaque fois où ce genre de situation se produit la plupart de nos passagers sont ravis de faire un nouveau départ et une nouvelle accélération supersonique ! Le charme et l’engouement pour Concorde à cette époque sont très forts !
Approche hivernale sur la 31L à Kennedy, face à Manhattan © Gérard Duval
Le vol se passe très bien, tous les passagers sont enchantés, et je pose l’avion sur la piste 31R de JFK après une arrivée rapide, à bruit minimum (comme il se doit !!). Un grand plaisir.
Le lendemain, le 29 décembre 1977, retour vers Paris en AF002, nous décollons de New York sur la piste 31L. Le commandant André Duchange aux commandes, exécute parfaitement la procédure anti-bruit, avec un virage à gauche dès le décollage, afin d’éviter le premier enregistreur de bruit placé « sournoisement » très proche de la piste.
Un dessin humoristique qui évoque la procédure anti-bruit en 31L à Kennedy
Je rappelle que chacun de nos décollages est surveillé, enregistré et que nous ne devons pas dépasser 112 décibels. Dès que possible, après le décollage, nous contactons l’escale d’Air France qui nous informe du niveau de bruit enregistré : comme ce jour-là, il est souvent inférieur à 105 décibels.
J’ai noté lors de ce retour, sur nos centrales de navigation, un vent particulièrement fort orienté au 275° à 208 nœuds (386 km/h) qui nous a permis, à un moment donné, une vitesse sol supérieure à 1300 nœuds (2400 km/h) ! Nous avons donc effectué ce vol retour en 3h18 (meilleur temps réalisé à cette date). C’était l’hiver sur l’Atlantique Nord ….
AB
Alain Bataillou dans ses œuvres lors d’un décollage de JFK en 04R