Douze années de relations passionnelles et tumultueuses autour d’un très long combat politique, aéronautique, industriel, financier, social, surréaliste parfois, au sein d’un monde coupé en deux par le rideau de fer.
Les forces en présence se comptent sur les doigts d’une main. D’un côté les Etats-Unis d’Amérique et de l’autre le consortium Franco-Britannique, chez lesquels l’outil industriel encore disponible aspire une profonde rénovation.
En face, les Soviétiques… mais c’est une autre histoire.
1962 – 1965 L’Amérique rentre en guerre
Les hommes s’affrontent.
1962 – Lors d’une conférence de presse, le General de Gaulle, pour la première fois, prononce officiellement le nom de Concorde. J.F Kennedy se sent personnellement attaqué par ce De Gaulle qu’il déteste politiquement mais dont il admire le parcours.
Que les français viennent-ils faire dans un domaine qui ne les concerne pas ? Le ciel mondial est américain et il le restera. Dans le contexte de la guerre froide, l’omnipuissance américaine reste le prisme de lecture qu’utilisent les politiques américains sur tous les sujets, tout le temps, partout.
La première réponse arrive en 1963, le 21 janvier précisément, lors de la diffusion d’un document de travail signé Kennedy que l’on peut considérer comme la feuille de route du programme SST Américain.
1963 – La Pan American annonce par voie de presse la confirmation de ses 6 options d’achat de Concorde. Kennedy va s’emporter contre Juan Trippe, le Président de la puissante compagnie. Au nom de l’achat d’un avion européen ? Au nom du manque de transparence de l’information ? Rien de tout ça ! Ce même jour, le 5 Juin, il doit officiellement annoncer le lancement du Programme supersonique civil Américain. Il est persuadé que Trippe lui a glissé une peau de banane et veut savoir dans quel camp il joue.
Et c’est comme ça que commence cette période houleuse que les Américains appellent la guerre pour la vitesse et les Français la bataille pour l’Amérique.
Liens :
Aircraft Industry memo (Note Ministérielle Britannique 1957)
Kennedy et Concorde
http://histaero.blogspot.com/2014/01/kennedy-et-concorde.html
Kennedy Announcement (JFK Presidential Library)
Najeeb Halaby – Oral History Interview (JF Kennedy National Archives )
De l’intrigue au mépris.
Aux USA, le temps du supersonique civil, n’est pas à l’ordre du jour; l’ensemble des moyens techniques, financiers, industriels … sont mobilisés autour de la conquête de la lune.
Parallèlement les américains apprécient fort mal la menace que présente Concorde face à leur toute puissance aéronautique. Pour eux, les ingénieurs Français, même adossés aux Britanniques, sont incapables de conduire un programme aussi complexe. Laissons-les s’occuper… ” Mais à chaque fois que je vois le Président, il n’a de cesse de me demander où en sommes nous et où en sont-ils ? “ indique N. Halaby :
Les États Unis peuvent-ils se permettre d’ignorer ce défi ?
Cette notion de compétition internationale maintenant installée de part et d’autre de l’Atlantique est le facteur dominant qui permit au projet américain de passer le cap des années 1960. Sans elle, il aurait été abandonné bien avant la fin de 1971.
L’Amérique doit gagner, pour conserver son leadership industriel, technologique… Il n’y a pas de place pour deux avions supersoniques et il faut sortir les Européens du jeu.
Lien :
M. Horwitch ” The Role of the Concorde threat in the U.S. SST program ” (M.I.T. Library)
En 1964, c’est la première crise politique Franco-Britannique. Une crise sérieuse dont on sait aujourd’hui, que de part et d’autre de la Manche, on s’est interrogé avec gravité quant au futur du programme. Mais que faire s’interroge De Gaulle ?
Dans l’équipe du gouvernement, certains comme Marc Jacquet, Ministre en charge des transports (1962-1966), proposent un rapprochement avec les Américains. La réponse du Général sera claire :
” Évidemment, nous ne ferons pas le Concorde tous seuls.
S’entendre avec les Américains ?
Le Concorde ne les intéresse pas. Sauf à leur remettre tout, comme toujours “.
En dépit de cette réponse, les équipes Américaines sont approchées lors de différentes missions dont celles de Georges Hereil, chez Boeing. Certains envisagent même de tester les Soviétiques au plus haut niveau.
Alors que faire ?
Liens :
Alain Peyrefitte ” C’était de Gaulle ” . Tome II .
Graham M. Simons ” The Concorde Conspiracy “
1965 – 1971. Le vent tourne !
1965 est une année charnière, d’une part avec le retour officiel des Britanniques dans le programme et d’autre part avec la nomination du très influent R. Mac Namara, à la tête du programme américain.
Des avions “gobe millions”
Après Kennedy : Johnson. Après N. Halaby : R. Mac Namara. Tout oppose ces deux hommes ; la passion aéronautique du premier et le pragmatisme mathématique du second. Mac, comme l’appelle l’administration américaine, ne croit qu’en la réalité des chiffres mais certainement pas en celle d’un programme aussi onéreux qu’inutile : ” C’est avec ce préjugé que j’ai abordé le dossier SST. J’ai toujours été sceptique et la question, dans un certain sens était : Comment le faire avorter ? ” annonce-t-il en s’opposant à son adjoint Jo Califano qui lui, commence à voir le programme Concorde sur les rails du futur.
N’est-ce pas ce même Mc Namara qui conseillera à De Gaulle de toujours multiplier les devis présentés par le nombre π (3,1416), pour approcher la réalité budgétaire ? ” Les experts mentent, les industriels mentent….” Ajouta- t-il. Et De gaulle de lui répondre : “Et les administrations laissent passer les mensonges”.
La panique s’installe
L’aspect économique mal maitrisé fait peur aux décideurs américains.
Les avis sont encore partagés mais si on doit y aller c’est maintenant, alors que de plus en plus d’Américains entrevoient Concorde sur le chemin du succès.
La C.I.A., la fameuse officine aux méthodes parfois controversées, rentre en scène avec l’objectif premier de récupérer auprès des Anglais le maximum d’informations et pourquoi pas celui de les faire sortir de l’accord de 1962.
Les Ateliers s’animent
A Toulouse comme à Filton, débute l’assemblage des premiers avions. Une étape qui ravit la communauté aéronautique et fait douter les Américains. Et si les Européens gagnent leur pari ?
1966- Les informations que diffusent les ingénieurs américains montrent que leur programme SST sera ” plus vite, plus grand, plus loin et moins cher “.
Les bureaux d’études européens poussent un grand soupir de soulagement. Sur la base de leur expérience acquise, tous savent que la barre est si haut placée qu’elle sera quasiment impossible à franchir.
Liens :
Alain Peyrefitte ” C’était de Gaulle ” Tome III
Graham M. Simons ” The Concorde Conspiracy “