DAKAR YOFF, UNE ESCALE PARTICULIERE

Par André Rouayroux


Dans ce témoignage, André nous parle de la relation étroite qu’entretenaient les français d’Afrique de l’Ouest avec, ce qu’ils appelaient : « l’aviation », c’est-à-dire l’aérodrome qui les reliait à la mère patrie. Ici il s’agit de Dakar Yoff, et bien entendu, de Concorde.


Dakar, dernière terre africaine avant l’immensité atlantique, croisée des routes aériennes vers l’Amérique du Sud. Yoff, vaste plaine sablonneuse, écrasée de soleil, barrant la presque-île du Cap Vert, dominée par les collines des Mamelles. Un endroit suffisamment remarquable pour y dresser une plateforme aéronautique.

Dans les années 1950, Dakar n’appartient déjà plus au courrier mais à la ligne. D’ailleurs ce n’est pas à Yoff qu’arrivait le courrier de Toulouse, mais sur le petit terrain de Ouakam, pas très éloigné. Mais si Yoff ne reçoit alors que quelques vols par semaine, Dakar vit encore dans l’empreinte de ceux de la Poste. « Marie Louise », la cambuse où débarquaient à n’importe quelle heure du jour et de la nuit ces gaillards affamés, avec la certitude d’en ressortir rassasiés est devenue un restaurant chic, fréquenté par la société coloniale dakaroise. Marie Louise, leur « mère » à tous, y officie toujours, mais sous d’autres conventions.

L’aérogare de Yoff dans les années 70

Les premiers Lockheed Constellation, ces magnifiques machines modernes resserrent le lien avec la mère patrie. Les escales, alors longues, permettent aux équipages d’y nouer des relations et pour certains d’entre eux de participer à la vie locale. Ils n’arrivaient jamais les mains vides. Dans le Dakar de cette époque, point de télévision. Une unique chaine de radio « Radio Sénégal », un journal « Dakar Matin » et pour le reste … les équipages. Les quelques journaux et magazines qu’ils apportent font l’objet de sérieuses tractations lors de l’organisation d’un circuit de lecture.

Puis, les dimanches se passent sur la plage de Yoff. Dimanche après dimanche, accompagné des copains du jour, nous rejoignions, vers 12h50 précise, le seuil du cordon de dunes. Là, allongés dans le sable déjà très chaud, les yeux dans le ciel, nous attendions en silence jusqu’à ce que surgisse le rutilant Boeing 707 de la Panam. Il s’envolait pour New York, brillant de mille feux, déchirant le ciel et nos oreilles d’un sifflement assourdissant.

Puis ce mercredi du 21 janvier 1976, terminant de déjeuner à la « Paillotte », face au ciel et à la mer, je me souviendrais longtemps de cette clameur quand, dans un même élan tout le monde s’est levé, en entendant ce mot magique : « Concorde! ». Trop loin pour l’entendre, mais assez bas pour le voir, il traversa le ciel. Pendant de trop courtes années, c’est ainsi que chaque mercredi et chaque dimanche, vers 13 heures, nous l’attendions. Je suis sûr qu’alors, dans la tête de chacun, se construisait le rêve secret de pouvoir un jour être à son bord.

Il faut dire que les relations entre Dakar et Concorde étaient déjà anciennes. Je ne parle pas de ce jour de mai 1971, qui a vu arriver le 001 pour son premier vol international, une visite au Sénégal, presque en catimini. Peu étaient au courant et Concorde n’était pas encore entré dans l’imaginaire des hommes.

Il en fut tout autrement, lors de l’annonce très officielle de la venue de Concorde à Dakar, ce premier jour d’avril 1975. Presse, Radio, bouche à oreille, tous y participaient, tous y allaient de leurs certitudes. L’événement que personne ne voulait rater. Le jour dit, quel que soit le chemin choisi, il fut difficile d’approcher de la plateforme de Yoff. Via la corniche, la petite route de Ouakam, à travers brousse, le long du chantier de la FIDAK (Foire Internationale de Dakar), l’approche fût longue et compliquée. Et commençât une attente, riche de spéculations, de rumeurs, d’informations diverses, contradictoires, issues d’on ne sait où, mais qui toutes venaient expliquer le retard de plus en plus important, pris par cet avion. Les heures passant, il fallut se rendre à l’évidence et commencer à chercher d’où venait ce merveilleux poisson d’avril. De très nombreux Dakarois y avaient souscrit et peut être que Concorde entrait ainsi officiellement dans la vie locale.

Il est vrai que nous étions nettement moins nombreux, cet autre jour de mai 1974, lors des premiers vols du Sierra Alpha à destination de Rio de Janeiro. L’information était confirmée par l’escale d’Air France, une équipe technique était en place depuis quelques jours, tout semblait prêt pour un événement d’exception.

Loin, au-dessus de la mer apparut sa silhouette particulière. Il grossissait de secondes en secondes, quand élégamment cabré, le nez cassé, de ses pattes il est venu toucher un peu durement le bitume chauffé à blanc de la piste sénégalaise. Hypnotisés par ce que nous venions de vivre, nous ne comprenions pas pourquoi cet avion était aux couleurs de British Airways.

28 mai 1974, le Concorde de présérie F-WTSA se pose à Dakar. Sa livrée est aux couleurs des deux Compagnies clientes : Air France à bâbord, British Airways à tribord.

Mais quel ne fut pas notre étonnement quand, quelques minutes plus tard, un Concorde d’Air France passait en sens inverse en remontant la piste. Bigre, bigre !

Une très grosse poignée de minutes plus tard, branle-bas de combat : il repart. Fonçant à travers brousse, nous le doublons alors, remontant vers la raquette, nez haut et visière relevée, avant de pouvoir s’aligner, face à la mer. Mais à Dakar, nous sommes toujours face à la mer !

Quelques instants plus tard, toute vie alentour a cru sa dernière heure arrivée. Pour la première et dernière fois, nous avons assisté de très près, de trop près, au décollage de Concorde. Un vacarme assourdissant, le sol qui tremble, les moutons d’habitude si paisibles, pris d’une course éperdue. Le temps semble long. Les mains sur les oreilles ne suffisent pas à atténuer ce bruit sourd, pénétrant au plus profond de nous. Tout bouge, vacille. Il passe devant nous, crachant ce panache caractéristique de fumée rousse. Le bruit s’éternise, certes de moins en moins puissant mais résonnant toujours en nous comme s’il ne devait s’en échapper.

Ces quelques souvenirs, témoins directs de ce que fut la place de Dakar Yoff, de « l’aviation » comme le désignent les dakarois, dans la vie d’une ville, de son histoire, de sa population, d’une époque. Une alchimie qui fonctionnait à merveille avant de s’évanouir.  

Aujourd’hui, Yoff n’est plus, remplacée par une autre plateforme, plus moderne, fonctionnelle, plus efficace … Quelle histoire nous contera-t-elle ?

AR


Il était une fois Concorde!

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