AU JOURNAL TELEVISE LE JOUR MÊME
Par Christian Fontaine

Ancien Chef Opérateur du son au service des reportages de TF1 de 1976 à 1986
Après la Toussaint de l’an 1977, je saute de joie en apprenant que je ferai partie de l’équipe qui diffusera depuis New-York, le reportage de ce vol inaugural. Non seulement j’effectue ma première mission aux Etats Unis mais en plus, j’y vais dans le Grand Oiseau Blanc…Quelle veine!
Préparation.
Il reste une dizaine de jours avant le décollage et toute l’équipe (journaliste, caméraman, technicien du son et assistant éclairagiste) se prépare. Pour ma part je vérifie mon matériel de base : magnétophones à bande lisse, batteries, micros, perchette, câbles divers … bref « la ceinture et les bretelles ! ».
Je rencontre également des collègues qui ont conduit des interviews à bord du Concorde, lors de vols précédents. Tous me mettent en garde contre le bruit – non pas tellement des moteurs – mais surtout de l’air qui frappe la voilure au niveau des bords d’attaque en régime supersonique. Le collègue qui avait tendu son micro au président Valéry Giscard d’Estaing me dit avoir obtenu une bande son pas très audible et s’être fait « souffler dans les bronches ». Tout cela me conduit à vérifier les micros spécialement adaptés aux ambiances sonores perturbatrices, sans oublier de récupérer au magasin technique l’adaptateur électronique « spécial USA » qui permet de corriger les effets de la fréquence locale du secteur (60Hz), au moment de la recopie du son avant le montage.
Deux jours avant le départ nous venons tous dans un des hangars d’Air France, repérer la carlingue et le poste de pilotage de l’appareil prévu pour le vol du 22 novembre. Je demande comment récupérer le son du trafic radio dans le cockpit et un technicien me fournit aimablement un raccord adapté en me montrant les prises disponibles sur le tableau latéral. Tout baigne, « y a plus qu’à… ».
Le jour « J ».
Au petit matin, on se retrouve tous au 15 rue Cognacq-Jay pour sortir le matériel des placards et monter dans la voiture de service qui nous emmène à Roissy Charles de Gaulle. Une fois confié nos gros colis au service compétent, nous sommes tout de suite invités à gagner la salle d’embarquement pour y rejoindre les autres passagers. Le bruit court que seule une minorité d’entre eux a payé son billet.
Comme nous avons bien sûr gardé par devers nous les instruments de base pour filmer à bord, Jean-Pierre Quittard, le journaliste, nous fait amorcer le reportage par quelques plans d’ambiance.

Jean-Pierre Quittard à bord de Concorde
Le vol.
Dès que nous nous installons à nos places, la cabine qui semblait déjà étroite lors de notre repérage, nous apparaît encore plus exigüe, une fois remplie de passagers. Le décollage impressionnant est effectué à l’heure prévue et le « captain » nous explique au micro que nous resterons en vitesse subsonique jusqu’au Havre pour limiter les nuisances sonores. Un peu plus tard, notre regard ébahi se fixe sur le machmètre qui continue de monter.
Par dérogation nous obtenons la permission de nous lever rapidement pour empoigner nos « armes médiatiques » et débuter notre série d’interviews des personnalités incontournables. Je négocie avec le caméraman un cadrage « nœud de cravate » pour approcher au maximum le micro et garantir une bonne compréhension des propos recueillis. L’appareil est toujours en altitude et vitesse de croisière et nous sommes accueillis au poste de pilotage pour les commentaires techniques. Mais le temps passe vite en supersonique et nous retournons nous asseoir pour déguster l’excellent repas et s’accorder une petite sieste réparatrice.
L’arrivée.
Je suis de retour au cockpit pour l’atterrissage. Afin d’enregistrer les conversations radio, je branche le câble « spécial » sur la prise « jack » du panneau technique et je mets en route le magnétophone que j’ai en bandoulière. Mon casque audio me fait entendre un son clair, une fois le volume ajusté. Bien calé au fond, entre les deux sièges des pilotes, sans trop gêner le mécanicien, je savoure l’ambiance de l’approche avec la réduction de vitesse et surtout le basculement du nez en position basse. La succession rapide des actions de l’équipage me fait supposer que nous sommes en finale et, en me penchant à l’extrême, je distingue la piste, encore loin devant. Nous reprenons contact avec le sol, suivis de près par le Concorde de British Airways.

Le toucher des roues du Fox Delta observé de près par de nombreux journalistes
La course contre la montre.
Une charmante collaboratrice du bureau de TF1 à New York nous accueille au bas de la passerelle et nous fait monter dans un hélicoptère qui nous attend un peu plus loin, pour quelques minutes de vol. Il fait beau et je n’oublierai jamais l’image choc de l’approche vers le sud de Manhattan avec ses buildings ensoleillés et ses célèbres ponts. Nous sautons dans un taxi en sortant de l’héliport et arrivons sans tarder dans les locaux de la chaine CBS.
Le caméraman confie ses boîtes de pellicule (16mm couleur inversible) au labo pour le développement et pendant que le journaliste rédige son commentaire sur un coin de table, je rejoins un local technique muni d’un banc de recopie du son afin de transférer mes enregistrements sur bandes magnétiques 16mm perforées, en vue du montage synchrone. Ensuite, nous nous retrouvons tous avec le monteur américain et mettons en commun nos maigres notions d’anglais pour l’aider à finaliser le reportage. Après un visionnage de sécurité on obtient la liaison par satellite avec le centre nodal de Cognacq-Jay, pour les essais techniques de diffusion.
Il est vingt heures à Paris, le journal de TF1 démarre et bien sûr, fait « son ouverture » sur le vol inaugural du Concorde. Ici à New-York, on donne le top au télécinéma et tout le monde découvre cet évènement merveilleux.
La médaille commémorative de cet évènement est toujours sur mon bureau et mon carnet de chèques est bien à l’abri dans la pochette « Concorde ».
CF
ps : à cette époque tf1 est une chaine du service public.

