La grande famille Concorde

Par André Moreau
Chef d’escale de New York d’août 1977 à mai 1984.

André Moreau a été le témoin privilégié de l’ouverture de la ligne supersonique Paris New York puisqu’il a pris ses fonctions à Kennedy 3 mois avant l’arrivée du premier Concorde régulier. Il nous livre quelques souvenirs de cette époque.

Le 15 août1977, avec ma famille, nous embarquons pour New York. Notre arrivée coïncide avec le décès d’Elvis Presley et surtout quelques jours plus tard avec une longue grève du Contrôle de la Circulation Aérienne sur l’Atlantique Nord. A mon arrivée, j’occupe le poste de Chef du Service Passage, en charge du traitement des passagers au départ et à l’arrivée. L’escale Air France de Kennedy traite de 3 à 4 départs par jour, étalés sur la journée de 10 à 22 heures. Simultanément nous commençons à préparer l’arrivée de Concorde, dont l’autorisation d’exploitation est suspendue aux résultats des négociations avec les Autorités Américaines.  

Nous subissons certaines manifestations anti-Concorde, mais également anti-françaises car les manifestants portent des pancartes contre Peugeot, Michelin etc. Elles ont un caractère très folklorique. Nous avons droit aux cornemuses ; on a même vu quelques députés locaux … chanter !! Le paradoxe Américain atteint son comble lorsque je vois des syndicalistes américains manifester en faveur du Concorde, source d’emploi selon eux. Devant le caractère bon enfant de ces manifestations, il m’arrive de leur offrir du café.

Après l’ouverture de Rio de Janeiro en janvier 1976, Air France ouvre l’exploitation supersonique de Caracas avec une escale technique à Santa Maria où je fus affecté de 1958 à 1960, à l’époque où les Lockheed Constellation desservant les Amériques et les Antilles s’y posaient en escale technique. Particularité du vol Paris Santa Maria Caracas : on voit le soleil se lever deux fois le soir !! Vous partez de Paris vers 19 heures. Le Concorde rattrape le soleil qui vient de se coucher et qui réapparaît, donnant l’impression d’un lever de soleil à l’ouest. La même scène se reproduit après le décollage de Santa. Seul Concorde peut offrir ce spectacle en raison de son vol supersonique à Mach 2.

En février 1977 le Secrétaire aux Transports des Etats-Unis, M. Coleman autorise une exploitation limitée entre 7 et 22 heures sur New York et Washington (aéroport fédéral). Mais le PONYA (Port of New York Authority, l’autorité portuaire) interdit l’exploitation pour 6 mois (en attente des résultats des mesures de bruit à Washington). Pour pallier à cet interdit, nous ouvrons une navette La Guardia Washington en Beechcraft (12 passagers) avec une Compagnie locale. Air France et British Airways engagent un procès contre le PONYA au motif que leur interdiction est inconstitutionnelle car elle annule une décision fédérale dans le domaine international. Mi-novembre le PONYA autorise le Concorde à exploiter l’aéroport de New York Kennedy, édictant des normes antibruit très sévères.

L’exploitation commerciale du Concorde débute à New York le 22 novembre 1977. Notre bel oiseau blanc se pose deux minutes avant celui des « British ». Jeanne d’Arc en sourit encore.

Avant mon départ, le Directeur Général m’avait reçu en me fixant des objectifs élevés : « le sans faute pour Concorde ». Mon ami Gilbert Redan que j’avais remplacé comme Chef du Service Passage, avait fait un excellent travail de préparation des procédures de traitement des passagers Concorde, facilitant ainsi ma prise de service. Néanmoins, comme toute mise en service d’un nouvel avion, le début des vols Concorde est assez laborieux. Les petites pannes au départ sont relativement fréquentes et les équipages n’ont pas encore acquis l’expérience de ces petits problèmes. Seule possibilité pour améliorer cette situation, avoir un avion de rechange (la réserve) à New York. Opération tout à fait réalisable car je connais la disponibilité des avions, étant un ancien de la Direction du Programme. J’y étais responsable de l’élaboration des horaires et avais conçu en 1975 les premiers horaires Concorde. Je prends ma plume, rédige une belle note à la Direction du Programme sans passer par ma hiérarchie locale. Je n’étais pas encore Chef d’Escale. Mal m’en pris : «  De quoi m’occupais je !! – Et la hiérarchie ? – On ne fait pas cela à Air France !! – On va se faire mal voir – Cela va coûter cher ! »

Un mois plus tard, la Direction du programme propose cette solution car elle ne coûte absolument rien. Une réserve Concorde est donc mise en place à New York avec pour corollaire une ponctualité exceptionnelle. Les commerciaux de la Compagnie nous sont très reconnaissants pour ces résultats et nous sommes bien meilleurs que la « British » au départ de New York. Mais ce qui est le plus important, c’est que les passagers, ou plutôt les habitués, le savent.

Au niveau Compagnie, nous sommes devenus la meilleure escale avec, pour cet avion, une ponctualité proche de 100% (certains mois nous réalisons des scores de 100%, parfois de manière répétitive). Croyez-moi, pour la clientèle, cet argument est fondamental mais ce résultat ne peut être atteint qu’avec la coopération de tout le personnel au sol participant aux opérations et également celle du personnel navigant. Nous avons ainsi créé une équipe exceptionnelle avec des procédures adaptées à la clientèle Concorde. Par exemple, il nous arrivait d’accepter des passagers jusqu’à 5 minutes avant le départ et nous partons à l’heure. En revanche, le passager qui veut utiliser notre tour de force de manière régulière se voit prévenu qu’il n’y aura pas de prochaine fois pour lui et tout rentre dans l’ordre.

Dans mes escales précédentes, j’avais déjà acquis une grande expérience de la clientèle et du comportement du passager mais avec le Concorde j’entre dans un autre monde. Dès le premier vol, bingo ! A la sortie de la douane je repère un couple de nos arrivants qui semblent chercher un moyen de transport. Leur proposant une limousine aux frais de la compagnie, ils refusent et me demandent de leur indiquer notre salon pour qu’ils se reposent en attendant leur vol vers Amsterdam. Je les accompagne pensant qu’ils se rendent à Amsterdam USA. Que nenni, ils rentrent à Amsterdam Pays Bas !!! Je n’insiste pas. Arrivés au salon je poursuis plus loin mes investigations pour découvrir :
– qu’ils sont hollandais ; lui est banquier à la retraite.  
– que toute leur vie ils ont réalisé des premières, et qu’avec le Concorde ils seront les premiers à réaliser un aller retour Amsterdam – New York dans la journée.

Et de me parler de leur voyage en dirigeable dans les années 30, premier vol vers l’Amérique du Sud etc. etc. Ce genre d’événement mérite célébration. Une bouteille de champagne offerte pour célébrer l’événement est bien entamée lorsqu’ils réembarquent vers Paris et leur correspondance sur Amsterdam. Ils ont près de 80 ans et la santé !

Un autre exemple spectaculaire qui aurait pu causer une attaque cardiaque chez une de nos passagères. La scène se passe au départ de Paris. Monsieur, passager américain, se rend compte qu’il a oublié son passeport à l’hôtel. Madame décide de prendre le vol prévu, le B747 de 10 heures, sur New York soit 8 heures de vol, Monsieur prendra le vol de fin de journée. Appel de l’hôtel qui confirme que le passeport est déjà en route vers l’aéroport. A ce moment, le passager remarquant qu’il existe à 11 heures un vol Concorde, 3 heures 45 de vol, décide de se « l’offrir ». A l’arrivée, il me raconte son histoire et le Concorde ayant rattrapé le B747 et l’ayant même dépassé, il me demande d’aller accueillir sa femme à la sortie de l’avion. Je vous laisse imaginer la tête de son épouse à la vue de son mari lui tendant les bras lors de sa sortie de l’avion. Le choc ! J’aurais dû prévoir le SAMU !

De gauche à droite : X, François Lafaye, André Moreau, Gérard Le Galès, Y, Janine Temsamani, Roland Crestor, Irmgard Siegert, Pierre Baty, Guylaine Rabateau, Jean-Marc Roudier, Lucien Ravera.
Vol spécial au départ de New York, affrété par le groupe Olivetti, le 15 mai 1984, info lesvolsdeconcorde.fr

© Air France – DR

En sept ans d’escale à Kennedy où ensemble, passagers, équipages, personnel au sol nous formions la grande famille Concorde, j’ai vécu de belles histoires. La prochaine fois, je vous raconterai l’histoire de Tony, un passager un peu particulier !!

AM

Un passager exceptionnel arrive à Kennedy en Concorde le 30 août 1980 à l’occasion du 50ème anniversaire de la traversée de l’Atlantique Nord d’est en ouest. Il s’agit de Maurice Bellonte qui était navigateur du Point d’Interrogation, piloté par Dieudonné Costes. Il est accueilli par André Moreau Chef d’Escale Air France et Ike Dornfield, directeur de l’aéroport JFK. © Air France – DR