Concorde et A320 face à face !

Par Pierre Grange

Nous sommes dans l’après-midi du 8 avril 1993, quelque part au-dessus des collines du Perche. A 25000 pieds, le Concorde Fox Charlie est établi au cap de collision vers l’A320 N°01 qui fait office de « plastron », terme utilisé aux essais en vol pour qualifier un appareil qui évolue au bénéfice d’un autre. Ce 8 avril, il s’agit du vol d’essai et de certification du système anticollision TCAS II sur Concorde. L’A320 joue le rôle d’intrus.

Etant alors pilote au CEV (Centre d’Essais en Vol), j’avais été désigné en 1992 pour m’occuper de la certification du TCAS (ti casse) sur les avions civils. Ce système anticollision devenait obligatoire pour tout appareil se rendant aux Etats-Unis. Comme il s’agissait d’une nouveauté, outre son bon fonctionnement, il fallait aussi s’assurer qu’il était utilisable en ligne : ergonomie, pilotabilité lors de l’évitement etc… De ce fait, il fallait se placer sur des trajectoires de collision, vérifier que l’ordre d’évitement était compréhensible puis, en effectuant la manœuvre, juger de sa faisabilité.

En tant que « pilote TCAS », j’avais déjà eu à faire ce genre d’exercice sur les avions civils certifiés en France et appelés à voler aux Etats Unis : les avions de la gamme Falcon, tous les long-courriers Airbus et le Boeing 747. Le 8 avril, c’était au tour de Concorde.

Les consignes de sécurité en face à face sont simples : le plastron, doit rechercher le visuel du Concorde, l’annoncer sur la fréquence au plus tard à 5 miles nautiques du croisement puis assurer la sécurité en « visant » légèrement à gauche ou à droite de Concorde, au cas où le TCAS ne fonctionne pas. Le Concorde lui reste stable en altitude jusqu’à ce que le TCAS lui commande un évitement par le haut ou par le bas.

Ce jour-là, le fonctionnement est nominal. A la limite d’échelle de l’indicateur TCAS, la première indication apparaît : un losange évidé bleu, puis l’A320 se rapprochant, à 10km le losange se remplit de bleu. A moins de 40 secondes d’une possible collision, l’indication devient un rond ambre et un message d’alerte retentit : « Trafic ! Trafic ! ». Immanquable même si on lit le journal ! A moins de 25 secondes, le TCAS donne un ordre d’évitement. L’indication devient un rond rouge et un message d’évitement retentit : « Climb ! Climb ! » s’il faut monter. Tout ordre est assorti d’une fenêtre de guidage en taux de montée.

L’A320 N°01 lors des mesures de relèvements TCAS après le face à face

Deux évitements sont effectués à des vitesses de rapprochement différentes : 450kt pour le premier (250 pour Concorde et 200 pour l’A320), 680kt pour le deuxième (380 et 300). Il s’agit pour moi d’attendre l’ordre à monter ou à descendre, temporiser de 2 secondes pour simuler l’effet de surprise dans un cockpit en ligne puis suivre l’ordre d’évitement sans précipitation et, enfin, juger du résultat : l’évitement est-il suffisant ? n’est-il pas excessif ? était-il difficile de suivre l’ordre d’évitement etc. Mes commentaires ont été positifs, sauf pour ce qui concerne l’emplacement de l’indicateur TCAS qui, sur la planche copilote, se trouve être juste derrière la main droite.

L’indicateur TCAS est masqué lorsque le copilote à les mains sur le manche.

J’ai pu réaliser à cette occasion combien le cockpit du Concorde est « rempli ». On ne peut y ajouter aucun instrument. Pour « entrer » l’indicateur TCAS, il faut déplacer un indicateur des planches pilotes vers le pylône central, soit l’indicateur de température extérieure soit la montre.

Je peux affirmer pour l’avoir vu en action (y compris « pour de vrai » sur un A340 en ligne quelques années plus tard) que le TCAS est un bel outil de sécurité des vols.

PG

Participants à ce vol : Air France : M. Arondel (CDB), Marcot (OPL), Escuyer (OMN). Aérospatiale : M. Ronceray (Ingénieur Navigant d’Essais). STNA : M. Garrigues (Ingénieur) CEV : M. Grange (Pilote d’Essais), Mlle Loisel (Ingénieur Navigant d’Essais).

Pour en savoir plus sur ce vol « Certification du TCAS sur Concorde » et le compte-rendu d’essais « Certification TCAS II sur Concorde »