Par Caroline Cadier
Chef de Cabine Concorde
C’était au printemps, à cette époque où la région de New York est une escale obligatoire pour les oies bernaches qui remontent vers la Gaspésie. Caroline Cadier était en fonction Chef de Cabine à bord de ce Concorde qui va vivre une collision aviaire de grande importance. Elle nous raconte ce moment … intense.
Vol AF 002 Paris – New York le 3 juin 1995. Il est 8 h 42, heure de New York, je viens de terminer l’annonce avant l’atterrissage priant les passagers d’attacher leur ceinture. À bord de Concorde, la majorité de nos clients sont des VIP. Parmi eux, un ministre, un prix Nobel de la paix, un violoniste mondialement connu, une star du catch américain très à l’étroit sur son siège, un chef français étoilé, le prince souverain d’un État européen, un mannequin vedette …
À la vitesse d’une balle de fusil, soit 600 mètres par seconde, Concorde vient de traverser l’Atlantique en 3h32. Nous sommes en finale pour l’atterrissage sur la piste 31 de l’aéroport JFK. Concorde se cabre de plus en plus, l’équipage effectue sa check-list. Brusquement, le commandant Michel Pouligny aperçoit un vol d’oiseaux de grandes tailles, dans l’axe de la trajectoire de l’avion. Il dit à son copilote : « Nous allons sûrement les toucher avec le train d’atterrissage » avant de prononcer au micro : « PNC, préparez-vous à l’atterrissage. »

À la vitesse de 160 nœuds (295 km/h) plusieurs oies percutent le fuselage et les deux réacteurs droits de Concorde. Ces moteurs sont jumelés. Immédiatement ceux-ci « pompent » faisant entendre un violent bruit d’explosion. Sont brutalement neutralisées toutes fonctions de poussée et d’inversion du flux d’air, celles-ci étant nécessaires au ralentissement de l’avion. Tout se passe alors très vite. L’entraînement, les réflexes des pilotes, leur action sur les palonniers (afin de compenser la dissymétrie engendrée par cette panne soudaine) vont permettre à Concorde de terminer sa trajectoire sur l’axe de la piste.

Une minute s’est écoulée depuis l’impact avec les oies. En plus du bruit assourdissant des deux moteurs valides côté gauche, en inversion de poussée, celui du pompage des deux moteurs droits a été ressenti en cabine. L’incendie est immédiat ! Dans le cockpit : l’équipage percute les extincteurs. Une forte odeur de brûlé se répand dans la cabine. Les passagers sont interloqués ; le regard fixe, ils cherchent celui, rassurant, de l’équipage. Concorde s’immobilise enfin.
L’alerte a été donnée par les contrôleurs aériens de JFK, cinq véhicules de pompiers cernent l’avion arrêté en bout de piste. Les pilotes coupent les deux moteurs gauches. Plus d’alimentation électrique, plus aucun moyen de communication ne fonctionne. Aucun de nos passagers ne panique, notre présence semble les rassurer, mais chaque minute paraît une éternité. Le commandant précise la situation à son équipage. Je réalise vite qu’il faut transmettre ses propos aux passagers « a cappella » (pas de micro) ceci en français et en anglais et à l’intention des deux cabines, je résume la situation. En insistant : tout danger est écarté. Nous ouvrons la porte avant gauche et la porte arrière droite afin de renouveler l’air ambiant et évacuer l’odeur de brûlé.
Concorde sera tracté jusqu’à son point de stationnement sans autre incident. En fin d’après-midi, notre commandant offrira le champagne à tout son équipage, signifiant combien la chance fut avec nous ce jour-là. Le même incident au décollage aurait été beaucoup plus dramatique, voire fatal !
Deux moteurs complets, de nombreuses pièces de rechange, ainsi qu’une équipe de mécaniciens spécialisés Concorde seront acheminés dès le lendemain à New York. L’avion sera immobilisé six jours à JFK. Le « New York Time » fera sa « une » le lendemain : « Aucune victime tandis que Concorde ingère des oies ».
L’aéroport de New York sera condamné à verser une indemnité à Air France. Ce jour-là, un vol d’oies sauvages aura occasionné six millions de dollars de dégâts sur le plus bel avion du monde : Concorde.
Le 4 juin 1995, le lendemain, le même équipage rejoindra Paris, offrant à ses passagers un repas gastronomique avec, au menu, du « foie gras d’oie ! »
CC

