31 janvier 1973, pas d’états d’âme pour PanAm

Par Henri Ziegler président de la SNIAS

Le 31 janvier 1973, Henri Ziegler attend avec anxiété la décision de la Pan Am concernant les 6 options d’achat de Concorde qu’elle a contractées en juin 63. Il nous raconte cette rude nuit au cours de laquelle les 3 grands du transport aérien américain tentèrent de mettre un terme au programme Concorde.

En signant leurs contrats fermes en 1972, Air France et B.O.A.C. déterminaient la date limite du 31 janvier 1973 pour l’échéance des options de Pan Am. Durant tout le mois de janvier 1973, mon collègue britannique, Geoffrey Knight, responsable des négociations commerciales aux États-Unis, poursuivit ses discussions avec les dirigeants de Pan Am. Dialogue serré et si lourd de conséquences qu’en ce début d’après-midi du mercredi 31 janvier aucune décision n’avait été encore prise. Les heures passaient, lourdes d’anxiété. J’étais rentré de Toulouse où s’était réuni ce même jour un conseil de surveillance d’Airbus Industrie. Tard dans la soirée, je me tenais en liaison téléphonique permanente avec New York. Dans une pièce voisine de mon bureau les journalistes alertés attendaient…

Il était minuit à Paris, 18 heures à New York. Geoffrey Knight sort des bureaux de Pan Am. Il est porteur du message de William Seawell, président de la grande compagnie américaine : « Sans mettre en cause l’aptitude de l’avion franco-britannique à assurer des services réguliers à vitesse supersonique, les études faites ont conduit à penser que les caractéristiques opérationnelles et économiques de Concorde ne justifiaient pas son entrée dans la flotte de la compagnie. » C’était là une fort mauvaise nouvelle, et le choc était rude, aussi bien sur le plan psychologique que sur le plan économique. Je reçus les journalistes et je les mis aussitôt au courant.

J’étais cependant loin de m’attendre à la dramatisation qui allait suivre. Une demi-heure après la communication de Pan Am, la compagnie TWA, dont les options ne venaient à échéance que le 28 avril, annonçait de son côté que, tout en reconnaissant les réussites techniques du programme européen, elle était obligée de donner la priorité au développement de sa flotte subsonique, que la viabilité économique de Concorde soulevait des doutes et qu’en conséquence le maintien des options n’était pas conforme aux exigences de la planification. Puis ce fut le tour d’American Airlines mettant fin à l’accord d’options signé le 16 janvier 1964 et dont l’échéance contractuelle ne venait qu’en fin d’année. Un fait était clair. La simultanéité des décisions des trois grands du transport aérien américain ne pouvait être fortuite. Il y avait eu concertation préalable en vue d’une action conjointe et massive qui, au-delà de considérations d’ordre économique, traduisait la volonté commune des grandes compagnies américaines de relever le défi européen en créant, par une décision que ses initiateurs croyaient fatale, les conditions qui amèneraient Français et Britanniques à mettre un terme à leur entreprise.

74 options Concorde avaient été prises par 16 Compagnies

Il allait falloir faire face à de sérieux problèmes et surmonter d’énormes obstacles pour sauver le programme, maintenir l’emploi des 30 000 ouvriers et ingénieurs qui en assuraient l’exécution à Toulouse et à Bristol, et pour assurer à plus long terme la survie même de l’industrie européenne sur le marché mondial du transport aérien. Ma réaction fut immédiate. Dans l’heure qui suivit je faisais à l’intention de la presse la déclaration suivante : « Cette décision n’entraîne ni découragement ni changement d’opinion. Nous maintenons la confiance que nous avons en la qualité de cet avion »

Cet avis fut partagé par les décideurs politiques français et anglais. Le programme était déjà bien avancé et employait 30.000 personnes. Il était en passe de réussir, ce que le présérie Sierra Alpha allait démontrer brillamment le 26 septembre de la même année en reliant pour la première fois Washington à Paris Orly. Henri Ziegler, par sa forte personnalité, incarnait Concorde et ses nombreux détracteurs allaient réclamer sa démission. Ainsi Jean-Jacques Servan Schreiber qui, le 5 février, terminait une conférence de presse en ces mots : « avant de licencier qui que ce soit à l’Aérospatiale, c’est d’abord le président-directeur général Henri Ziegler qu’il conviendrait de licencier ». Il rappelait au passage que Ziegler, défenseur du Tupolev 144, ferait un excellent fonctionnaire soviétique. » Extrait de « La grande aventure de Concorde » par Henri Ziegler Grasset 1976

Henri Ziegler (1906 – 1998)